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Pendant la lutte contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff, pas de téléphone portable, d'internet ni de "réseaux sociaux". C'est par l'écrit que passe l'échange d'informations et la mobilisation.

 

En novembre 1978 paraît le premier numéro du "Nukleel ?".

 

Il fallait une traduction bretonne pour nucléaire, "Nukleel" s'est imposé. Quant au point d'interrogation il correspond à la volonté du journal de répondre aux questions que chacun se pose.

L'initiative vient du comité local d'information nucléaire de Landerneau. Le Clin de Landerneau s'est constitué en 1976 comme comité de soutien à celui de Porsmoguer, dans le nord Finistère, site initialement prévu pour le projet de centrale nucléaire en Bretagne.

 

Un rapport confidentiel de EDF présentait ce site du Nord-Finistère comme constitué de "rochers déserts où viennent rarement les touristes", pendant qu’une lettre diffusée dans la population faisait valoir "l'apport économique de l'ouverture d'un grand chantier de construction d'une centrale". Erreur monumentale. Ces rochers sont le lieu de prédilection des amateurs de pêche à l'araignée ou au bar venus de tout le secteur, en particulier de Brest très proche. Sur le plan économique la région connaît une agriculture active consacrée aux cultures légumières et à l'élevage. Le canton est celui du département qui a accueilli le plus de jeunes agriculteurs dans les années récentes. Ce sont des syndicalistes proches des "paysans travailleurs". Ils savent que la construction de la centrale signifierait leur expropriation et la perte de confiance en leurs produits. Ils préfèrent l'horizon de la mer à celui des pylônes à haute tension. Ils prendront la tête d'une contestation efficace. La vigueur de la mobilisation amènera EDF à renoncer à Porsmoguer pour choisir Plogoff.

 

Le passage de témoin a lieu à Brest le 25 septembre 1978 au cours d'une manifestation pendant laquelle 15 000 manifestants se couchèrent au sol dans un "maro mig" symbolisant les morts d'un futur accident nucléaire (voir). Les comités anti-marée noire comme les clin se mettaient alors au service de la lutte de Plogoff. Celui de Landerneau proposait son soutien sous la forme du lancement du journal "Nukleel ?" avec la vocation d'informer et d'établir la liaison entre les différents comités déjà organisés dans une "coordination antinucléaire bretonne". La réalisation est artisanale. Textes tapés à la machine, découpés, collés, et livrés bruts à l'imprimeur. Quinze numéros seront ainsi publiés jusqu'à juin 1982. Ils porteront sur "le nucléaire et la santé", "le nucléaire et la sûreté", "le nucléaire et l'emploi". Chaque tirage comprendra en moyenne 3000 exemplaires vendus de la main à la main par la centaine de comités recevant la revue.

 

 

Le numéro 13 titré "Plogoff a gagné", est un témoignage de l'histoire de la résistance. Louis le Pensec l'a téléphoné à Amélie Kerloc'h, c'est décidé on ne parlera plus de la centrale. Nukleel donne la parole aux principaux acteurs de la lutte. D'abord à Annie Carval, présidente du Comité de Défense. Avec les "femmes de Plogoff", dont la parole nous a été conservée par Renée Conan et Annie Laurent, elle a été une courageuse et efficace animatrice de la lutte. Nukleel rapporte son échange avec Paul Quilès au micro de "Radio Plogoff" et sa promesse : "si Mitterrand est élu, Plogoff ne se fera pas !". Elle se souvient alors de la soirée du 10 mai dans le local de la radio : "Toute la journée c'était presque de l'angoisse parce qu'on espérait que Mitterrand passe mais on préférait mettre cet espoir en doute parce qu'autrement la déception aurait été trop grande à 20 heures. Quand on a eu les premières estimations ça a été la joie, le délire, certains criaient d'autres ne pouvaient plus dire un mot, certains riaient d'autres pleuraient. Enfin on sentait que tout le monde était libéré et ça fait du bien".

 

Odette Le Gall, présidente du GFA rappelle qu'au moment de la création du groupement il n'y avait que des ronces et des pierres sur le terrain aujourd'hui cultivé.

 

A présent la bergerie a trouvé sa vitesse de croisière. Une éolienne et des panneaux solaires l'alimentent en électricité. Les projets ne manquent pas pour la suite : séchoir solaire pour les plantes médicinales, arrivée de nouveaux moutons du Larzac, filature et culture de plantes tinctoriales pour la laine, atelier de tissage.

 

Jean Moalic, président de "Plogoff-alternatives", est confiant : "le changement politique a ouvert une nouvelle perspective. Nous ne sommes plus en situation de défense. Maintenant nous devons préserver l'acquis obtenu. Notre objectif est de proposer une nouvelle politique en ce qui concerne les énergies renouvelables et surtout de proposer des expériences positives". Le projet phare  est la maison autonome : "ce sera à la fois une maison pour tous, pour les habitants de Plogoff, mais aussi un centre de documentation, un centre d'accueil où des stages de formation pourront être organisés par "Plogoff-alternatives". Actuellement la demande de permis de construire a été faite. En ce qui concerne la réalisation, elle sera confiée à des artisans locaux. L'accent sera mis sur l'utilisation de matériaux isolants non dérivés de pétrole et de matériaux les moins coûteux en énergie".

 

Le rassemblement de Pâques pour lancer le projet a été une réussite,  reste à boucler le budget avec l'espoir de soutiens et de subventions. Pourquoi ne pas y croire. Le numéro de Nukleel reproduisait la lettre adressée par le candidat Mitterrand aux "comités antinucléaires de Plogoff et de sa région". En plus d'un referendum sur la poursuite du programme nucléaire il s'engageait : "Les crédits économisés par la réduction du programme nucléaire permettront d'augmenter fortement les moyens accordés aux économies d'énergie et aux énergies nouvelles. Ces investissements, à la différence du programme nucléaire, sont décentralisés, fortement créateurs d'emplois et réduisent tout de suite nos importations". Le numéro 14 de Nukleel ? Sonne pourtant le glas de tous ces espoirs. Paru en décembre 1981 il fait le constat désenchanté de la relance nucléaire par le gouvernement socialiste et déjà de la trahison des promesses de la campagne électorale.

 

Pendant toute son existence, la revue s'était enrichie de complicités amies. En particulier celle des dessinateurs bretons. Avant chaque publication, nous attendions avec impatience les dernières productions de Goutal, Nono et autres dans le "Canard de Nantes à Brest" pour les mettre à contribution.

 

Indispensable "Canard de Nantes à Brest". Belle idée de titre pour ce journal dont le premier numéro sort en janvier 1978. Un journal "De Nantes à Brest" comme le canal qui symbolise l'unité historique de la Bretagne. Quant au Canard, inutile de présenter le volatile satirique paraissant le mercredi. Le ton est donné : parler vrai de l'actualité en Bretagne avec l'humour en prime. La promesse sera tenue. Chaque numéro est attendu avec impatience. EDF et ses alliés locaux seront des cibles de choix.

 

Quand vient l'enquête publique la priorité est donnée à la lutte de Plogoff. Sur la couverture du n°57 une photo de gendarmes mobiles de dos, face à un groupe composite d'anciens, casquette vissée sur la tête, de femmes et d'adolescents. La légende qui l'accompagne : "Il est 5h … Plogoff résiste". Le n°58 est dans le même ton : "Plogoff, ça gaze toujours !". A l'intérieur un dessin de Goutal. Un primate équipé d'un casque, d'une matraque et d'un fusil lance-grenades, avec une légende devenue célèbre : "Ils nous menacent du retour à la bougie et c'est l'homme des casernes qui apparaît !" . Une photo aussi, celle de Annie Carval et Guite Kerloc'h titrée: "Des femmes gardent le cap."  En conclusion de la lutte un numéro "Spécial Plogoff" débutant par la première nuit des barricades et la détermination du maire Jean-Marie Kerloc'h après l'assaut des garde-mobile : "Notre lutte n'est pas finie et nous aurons encore besoin de vous, Croyez moi ! Ce n'est que le commencement et il faut avoir confiance, sinon il vaut mieux laisser tomber tout de suite. Rassurez vous, on les aura !".

 

Les dessins de Nono et Goutal étaient parmi les grands moments du journal. Ils feront également la joie des lecteurs du Peuple Breton, le journal de l'UDB (l’Union Démocratique Bretonne) et de "Oxygène".

 

Le 13 février 1979, une bouffée d’air pur enrichit la presse périodique bretonne. Un nouveau mensuel est né : "Oxygène". A l’origine, une poignée de jeunes militants de la SEPNB (Société Pour l’Etude et la Protection de la Nature en Bretagne). L’association a été créée par des universitaires soucieux de s’opposer à la destruction accélérée des milieux naturels. Ils seront les premiers à faire vivre la notion, encore obscure, "d’écologie". L’association dispose déjà d’une revue trimestrielle "Penn-ar-Bed" (Bout du monde) qui fait le lien entre ses 3000 adhérents. "Oxygène" sera ouvert à toutes les associations amies et à tous ceux qui souhaiteront rejoindre "ce nouveau carrefour des luttes écologiques (pollution, urbanisation sauvage)". Ce sera un journal de combat, "un combat qu’il convient de mener quotidiennement, simplement par souci de dignité humaine..." Et l’éditorial précise : "Nous ne cautionnerons pas plus des choix énergétiques (nucléaire) qui hypothèquent notre avenir de nantis, que le gaspillage des richesses du tiers monde ou les politiques productivistes.". Ce sera aussi un journal "comme un autre", mis en forme de façon professionnelle, proche de l’actualité, avec des rubriques régulières, bien illustrées (l’humour de Nono, Yffic, Goutal et des autres dessinateurs bretons sera mis à contribution). Dans l’éditorial du numéro spécial consacré à l’enquête publique à Plogoff, Yves Le Gal, directeur du centre d’études marines de Concarneau et directeur de la publication, restitue au combat de Plogoff sa véritable dimension :

"Ce n’est pas en prolongeant l’agonie de systèmes de production et de consommation complètement dépassés que l’on abordera, avec tous les atouts, le XXIéme siècle. Aujourd’hui, beaucoup de bretons ont compris ce que commencent à deviner quelques technocrates introduits aux meilleures écoles, que la formidable poussée de la croissance, vécue au cours des vingt dernières années était... un accident de l’histoire". Propos tenus en 1980... Les médias ne parlaient alors ni du dérèglement climatique ni de l’effondrement de la biodiversité.

 

 

Nukleel ?, Canard de Nantes à Brest, Oxygène … conservent la mémoire de ce grand moment d'écologie populaire que fut la résistance de Plogoff. Ils témoignent aussi d'un réveil des consciences en Bretagne. Algues vertes, Notre-Dame-des-Landes... l'esprit de Plogoff est encore perceptible dans les mobilisations qui font de la Bretagne une région connue pour ses luttes en faveur de la protection de l’environnement, de la solidarité sociale, de la promotion des langues et des cultures régionales.

 

 

 

 

 

 

 

 

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