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Déjà 33 ans qu’EDF tente de démanteler ce réacteur nucléaire perdu dans les monts d’Arrée. Et l’affaire va encore durer jusqu’en 2032… Au moins !  (source Sud-Ouest)

 

 

Nul doute qu’en ces landes sauvages, un tel projet rameuterait aujourd’hui tous les zadistes du pays. Bienvenue à Brennilis, son église du XVe siècle, son lac, ses castors, ses 450 habitants et leur centrale nucléaire plantée au beau, très beau milieu des monts d’Arrée (Finistère). À tout le moins ce qu’il en reste, le cœur du réacteur ayant définitivement cessé de battre en 1985, soit dix-huit années seulement après son inauguration triomphale. « En tout et pour tout, nous n’avons produit en électricité que l’équivalent de la consommation annuelle de Paris », rappelle un retraité au comptoir de l’épicerie-bar Charlegan, unique commerce de ce village aux détours fantomatiques. Première et dernière centrale à eau lourde de l’Hexagone, Brennilis aura peu ou proue souffert d’une technologie dépassée sitôt après avoir été inventée.

« Ici, c’est la préhistoire »

Pressés de faire table rase de ce passé peu glorieux, EDF et les élus locaux avaient alors promis un « retour à l’herbe » aussi rapide que vertueux. Las, trente-trois années de retards et d’atermoiements ont sonné le glas de cette ambition que l’on sait aujourd’hui démesurée. « On ne le disait pas publiquement, mais dès le début, nous nous répétions qu’il faudrait un siècle pour démonter la bête », reconnaît Michel Marzin, cet ancien technicien du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) chargé d’alimenter la centrale en combustible. « Sur mes 28 années passées ici, les dix dernières ont été consacrées à préparer la déconstruction. Ce n’est pas que les gens ont mal travaillé, c’est juste qu’ils n’ont pas eu les bonnes instructions. Brennilis, c’est la préhistoire du démantèlement, où l’on navigue à vue sans vraiment maîtriser le savoir-faire. »

« On ne le disait pas publiquement, mais dès le début, nous nous répétions qu’il faudrait un siècle pour démonter la bête »

De ce vaisseau fantôme échoué sur les rives de l’un des plus importants réservoirs d’eau douce de Bretagne, disons aussi qu’il cumule défis technologiques et aléas politiques. Ainsi, tandis que les travaux n’ont réellement commencé qu’en 1997, le Conseil d’État annulera dix ans plus tard la procédure, considérant le chantier un peu trop opaque pour être honnête. Relancé en 2011, celui-ci doit encore obtenir l’autorisation d’entamer l’étape décisive de la déconstruction, en l’occurrence le cœur du réacteur. Et le nœud du problème radioactif. Trois années d’instruction à venir, une décennie pour l’accomplir. « À l’intérieur, le rayonnement est toujours mortel, ça ne va pas être simple », prévient Michel Marzin.

Le réacteur toujours intact

Du travail, les 80 personnes toujours employées sur le site en auront de toute façon à la pelle d’ici là. Et même à la tractopelle. Achevant la destruction du radier – cette vaste dalle en béton d’un mètre d’épaisseur – ceux-là devront ensuite assainir les terres ainsi libérées. Assez de temps, espèrent-ils, pour qu’EDF mette cette fois les bœufs avant la charrue. Retoqué par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), son premier plan de stockage des déchets présentait, il est vrai, le léger inconvénient de n’avoir aucun point de chute. Toujours en construction à la centrale du Bugey, dans l’Ain, l’Installation de conditionnement et d’entreposage de moyenne et longue activité (Iceda) devrait régler le problème d’ici l’an prochain. Encore du temps, et donc de l’argent. Vingt fois plus même que lors du premier devis, le coût total de ce démantèlement sans fin flirtant désormais avec les 482 millions d’euros.

« C’est une verrue, oui, mais à force, on ferait mieux de la recouvrir d’un sarcophage, comme à Tchernobyl »

Riveraine de la centrale depuis le milieu des années 1970, Bernadette Lallouet s’est alors patiemment forgée sa conviction antinucléaire dans l’ombre de ce voisinage haut perché 56 mètres par-dessus la bruyère. « C’est une verrue, oui, mais à force, il ferait mieux de l’envelopper d’un sarcophage, comme à Tchernobyl, plutôt que de vouloir à tout prix rendre le site à la nature. Franchement, jamais je n’irai boire le lait des vaches que l’on nous promet dessus. » Échaudé, le nouveau directeur de la centrale se contente d’ailleurs d’évoquer à présent une reconversion industrielle du site à l’horizon 2032. C’est peu dire en effet que le réacteur inquiète davantage aujourd’hui que de son vivant, quand bien même la densité des monts d’Arrée ne dépasse guère celle des steppes mongoles. « Une partie des gens n’y fait plus attention, certes, mais beaucoup d’autres ont encore peur d’en dire du mal », assure Bernadette. « Vous savez, tant que ça rapporte un peu d’argent et du boulot… »

« Au début, on était si fiers… »

Ne pas cracher dans la soupe atomique, celle qui permit autrefois de garder quelques enfants en ce rude pays. Embauché dès l’ouverture de Brennilis, en 1967, Michel Marzin en conserve d’ailleurs un souvenir ému. « J’étais d’autant plus fier d’y travailler que la ferme de ma grand-mère n’avait même pas l’électricité, c’était une vraie promesse de modernité  », reconnaît-il du haut de ses 78 ans. Lui aussi converti à l’écologie, l’ancien cadre du CEA sait pourtant que le joli conte du retour à l’herbe a du plomb dans l’aile. Et un peu de tritium, soupçonne-t-il également. « Aux abords du lac, nous avons relevé un point où la radioactivité était 30 fois supérieure à la normale. Mais à cela, EDF n’a toujours rien à nous répondre… » 

« Aux abords du lac, nous avons relevé un point où la radioactivité était 30 fois supérieure à la normale »

Cachons alors aux béni-oui-oui de la reconversion énergétique cette exception dont on ne sait plus vraiment si elle confirme la règle promise aux autres réacteurs en sursis. Apprendre de ses erreurs, plaide en substance Michel Marzin dans un rare sursaut d’optimisme. « Brennilis était un prototype, et son démantèlement n’est sans doute pas représentatif de ce qui se fera ailleurs.. En théorie, on devrait aller plus vite. Car ici, à force de bêtises, il restera encore des traces de la centrale dans mille ans. » Que les antinucléaires bretons pourtant se consolent. Passé le fiasco des monts d’Arrée, jamais l’État n’osa reconstruire chez eux le moindre réacteur.

 

Dates clefs

1962  Début de la construction de l’unique centrale nucléaire à eau lourde de France.

1967  Mise en service de ce réacteur expérimental de 70 mégawatts.

1985  18 ans après son inauguration, EDF stoppe Brennilis, dont elle annonce le démantèlement. Celui-ci débute réellement en 1997.

2007  Le Conseil d’État annule l’autorisation de démantèlement, pointant un manque de transparence. La déconstruction du réacteur ne reprend qu’en 2011.

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