Extrait de : PLOGOFF, un combat pour demain. Chronique d’une victoire contre le nucléaire. Le livre.
La lecture de la presse du début septembre 1980 n’annonce rien de bon pour la cause de Plogoff.
La droite pavoise. Giscard est donné largement gagnant de la compétition des présidentielles. Il caracole en tête au premier tour des sondages (entre 36 et 42% des intentions de vote). Au deuxième tour il ferait 61% face à Mitterrand et 57% face à Rocard.
A gauche, pourtant, c’est la guerre.
Le programme commun a volé en éclats. Georges Marchais vient de comprendre que la nébuleuse socialiste va absorber la matière de son parti s’il n’y met bon ordre. En novembre 79 il recueillait 17% des intentions de vote, en septembre 80 il est descendu à 13%. Les sénatoriales vont être l’occasion d’une violente confrontation.
Au PS François Mitterrand se délecte à jouer au chat et à la souris avec Rocard. Interrogé par "Europe 1", il souligne " l’ambition, l’envie d’être" de son challenger qu’il regarde avec "attention, sympathie" mais aussi avec... " des points d’interrogation". Serais-je "plus utile comme rassembleur des socialistes qu’à la tête de l’Etat" fait-il mine de s’interroger.
A droite, rien n’est encore décidé. Giscard, Chirac, Debré se distribuent cactus et peaux de banane. Mais cette guéguerre là, fait plutôt l’affaire du camp antinucléaire.
Tout cela sur un fond d’actualités nationales et internationales qui rappellent étrangement nos préoccupations contemporaines et dont la presse nous informe au jour le jour.
1er Septembre 80 : L’actualité européenne braque ses projecteurs sur la Pologne où Solidarnosc s’organise après sa "victoire de Gdansk". Les militants des Clin sont nombreux à avoir participé à des comités de soutien à Solidarnosc. Plusieurs ont trouvé le chemin de la Pologne en accompagnant les convois de nourriture ou de matériel d’imprimerie organisés pour aider les grévistes. D’autres ont accueilli les représentants de Solidarnosc en tournée en France. Même si l’avenir est incertain et si le capitalisme sauvage perce déjà sous le masque fissuré du bureaucratisme, une première brèche a été ouverte dans le rideau de fer, une première lueur de liberté brille dans la grisaille soviétique.
5 septembre : Le PC a lancé sa campagne des sénatoriales. Premier thème : la défense. Pour s’opposer à la convergence "PS/Majorité" accusés de vouloir se réfugier sous le parapluie américain, le Parti Communiste demande la construction d’un 7e sous-marin nucléaire. Il s’oppose de même à la réduction de la durée du service militaire proposée par le RPR et le PS (qui envisagent de le ramener respectivement à 4 et 6 mois). Le parti des "mutins de la Mer-Noire" a bien changé.
7 septembre : Un grand moment à Douarnenez. Nicole et Félix Le Garrec présentent leur film "Plogoff, des pierres contre des fusils". Quelques secondes de silence après les dernières images...
"Quelques secondes de silence qui contrastent étrangement avec cent dix minutes d’explosions de grenades, d’injures, de cris, de coups de matraques, de bruits de pierre sur les casques et les boucliers. Et puis, tout-à-coup, le grondement interminable des applaudissements" (Jean-Charles Perrazi - Ouest France).
Un quart de siècle plus tard, le film reste le témoin vivant et irremplaçable d’un moment exceptionnel.
Campagne électorale : Georges Marchais est en Bretagne. La presse se délecte de ses petites phrases. "M. Le Pensec porte M. Guermeur sur ses épaules" assène-t-il en analysant les positions du PS et du RPR dans un récent conflit de la pêche.
10 septembre : Jean-Marie Kerloc’h passe la main. "J’ai décidé de démissionner, car depuis mon accident cardiaque je suis en traitement, J’ai eu hier 70 ans et je veux maintenant profiter un peu de ma retraite".
Chacun s’y attendait. Une alerte, déjà, l’avait amené à l’hôpital au début de la lutte. La presse rappelle son parcours. Trente ans de navigation avec la "Royale" sur toutes les mers du monde et retraite en 1961 avec le grade de maître principal. Elu maire en 1974, la lutte contre EDF en fera un personnage historique.
Jean-Marie ne profitera que quelques années de cette retraite méritée. Il décède le 28 mai 1985 à 75 ans, ayant gardé, jusqu’au bout, ses convictions antinucléaires. Plogoff manifestera une dernière fois en silence derrière son maire.
Au PS les clans s’activent. Le rocardien Pisani hasarde un pronostic : "Mitterrand va passer la main". Son temps, dit-il "est en train de s’achever".
12 septembre 1980 : l’Union Fédérale des Consommateurs UFC lance un pavé dans l’assiette : Elle invite les consommateurs à boycotter la viande de veau. L’affaire du "veau aux hormones" est lancée. Le consommateur français est le recordman mondial de la consommation de veau : 7,3 kg par an et par personne en 1979. On l’a conditionné pour qu’il demande une viande très blanche et très bon marché. L’éleveur de veau travaille le plus souvent sous contrat avec une firme ou une coopérative. Celle ci fournit les veaux et leur alimentation. L’objectif est de réduire les coûts au maximum. Pour cela les anabolisants et oestrogènes sont idéals. Ils permettent d’accroître artificiellement la masse musculaire. Effet secondaire : les hormones, surtout si elles sont synthétiques, peuvent induire des atteintes à la santé. La loi "Ceyrac" de février 1976 interdit les oestrogènes naturels ou de synthèse en France, mais autorise certains anabolisants. Dans les faits, elle n’est pas appliquée et le lobby des fabricants d’aliments s’emploie à la faire supprimer.
L’UFC est relayée dans son action par le syndicat des "Paysans Travailleurs". Deux de leurs adhérents ont porté plainte contre la coopérative qui leur fournissait leurs aliments. Celle ci avait introduit, à leur insu, des hormones dans l’aliment qui leur était livré. Cette alimentation ayant décimé leur élevage ils étaient ruinés. Bernard Lambert, ancien député de Loire-Atlantique et animateur des Paysans Travailleurs dénonce un système dont les producteurs sont les premières victimes "Ils sont obligés, dit-il, sous prétexte de progrès et sous peine de faillite de se plier à des pratiques qu’ils désapprouvent et qui sont désormais généralisées".
Pour sortir de ce cercle vicieux, les "Paysans travailleurs" proposent l’interdiction en Europe de la fabrication et de la vente d’anabolisants. Plus simplement ils réclament l’abandon du "système productiviste’" basé sur l’aliment synthétique et proposent l’utilisation, sans transformation, du lait à la ferme. Le "veau sous la mère" n’est-il pas encore la solution la plus économe et la plus respectueuse du consommateur ?
Bernard Lambert et ses amis pouvaient-ils imaginer qu’un jour les fabricants d’aliments transformeraient leurs vaches en carnivores et répandraient dans la population, avec l’E.S.B, une maladie aussi terrible que sournoise.
19 septembre : les consommateurs ont répondu au mot d’ordre de boycott au-delà de toute attente. Le cours du veau s’effondre. L’activité des abattoirs a diminué de moitié en une semaine. On trouve du veau "en solde" sur les étals des bouchers. Le message sera-t-il entendu ?
Alors que tous les oestrogènes sont interdits en France, le ministre de l’Agriculture, M. Méhaignerie, envisage d’autoriser l’usage des oestrogènes naturels pour, dit-il, "lutter contre l’utilisation frauduleuse d’hormones artificielles". Diversion, répondent l’UFC et les Paysans Travailleurs.
On apprend dans le même temps qu’un pharmacien vendéen vient d’être inculpé après la découverte dans son château de 2kg d’œstrogènes artificiels. L’homme mène un train de vie luxueux et reçoit à son domicile des personnes discrètes qui en repartent assez rapidement.
29 septembre : lendemain de sénatoriales. On attendait une progression de la gauche on constate surtout les effets de la désunion. Dans six départements les communistes se sont maintenus au second tour contre les socialistes. Deux sont situés en Bretagne : les Côtes du Nord et le Finistère.
Dans le Finistère les retombées de Plogoff sont encore chaudes. "Nous en avons assez de voir plumer la volaille communiste par les socialistes" s’emporte Jean-Pierre Jeudy, maire de Carhaix. "Le PC finistérien a pris la lourde responsabilité d’assumer l’élection des quatre sénateurs de droite" lui répond Bernard Poignant pour le PS.
A Plogoff on remarque simplement que quatre sénateurs ouvertement favorables à la construction de la centrale viennent d’être élus. Mauvaise pioche.
30 septembre : l’UFC a gagné. Les 9 ministres de la CEE se sont mis d’accord pour l’interdiction des hormones naturelles et artificielles dans l’alimentation des veaux. Le boycott du veau a pris une dimension européenne. L’Italie a été la première à rejoindre la France. Un juge d’une petite ville au sud de Rome a décrété la suspension de la vente de la viande de veau en Italie. En France, M. Méhaignerie a brusquement changé d’avis et a invité ses collègues européens à prendre une mesure commune d’interdiction de toutes les hormones.
Extraordinaire succès pour une association, l’UFC, qui ne bénéficiait jusqu’à présent que d’une notoriété limitée.
Retombée inattendue. 25 ans plus tard, parce qu’elle refuse le bœuf aux hormones américain, l’Europe fait l’objet d’une taxation majorée de certains de ses produits. Parmi ceux-ci le Roquefort. On connaît la suite, l’action de José Bové et de ses amis contre le Mac Do de Millau, le retentissement mondial des manifestations de Seattle, la naissance d’un mouvement alter-mondialiste prometteur.
Retour dans la France de 80 avec les Présidentielles : Chirac, à son tour entre en manœuvres. Pourquoi pas un rapprochement entre le RPR et le PS, propose-t-il, si la rupture avec le PC est consommée. "Le jour où François Mitterrand dira "c’est fini", le jeu pourra changer complètement" précise-t-il. Décidément la politique devient un "jeu" compliqué.
A gauche les choses ne s’arrangent pas. Le PS est devenu le premier groupe du Sénat avec 69 membres. Horreur ! pensent les communistes qui estiment qu’on leur a volé 8 sièges. "Le président de la République peut remercier le PS d’avoir aidé la droite à priver le PCF de huit sénateurs" accuse Georges Marchais.
Vous avez repris la tactique des années trente, répond le PS " à l’époque où, appliquant rigoureusement les directives de Staline, les dirigeants communistes traitaient les socialistes comme leurs adversaires prioritaires". Et les socialistes de rappeler que dans le Doubs ils ont préféré "faire élire le politicien de droite Edgard Faure et un homme du patronat de Peugeot plutôt qu’un socialiste militant CGT" ou encore que dans les Côtes du Nord ils ont préféré des "représentants de la vieille droite bretonne" à des militants socialistes.
Politique internationale. Le nucléaire revient dans l’actualité par la guerre Iran-Irak. Le centre de recherche nucléaire de Bagdad où travaillent 70 techniciens français a été bombardé. On précise que seulement des bâtiments annexes ont été touchés et que le réacteur nucléaire fourni par la France et achevé au début de l’année est indemne. "Libération" annonce que "le 14 juin 1980, la France a livré douze kilos d’uranium hautement enrichi à l’Irak". Personne ne sait ce qu’il est devenu.
11 Octobre : La tension PS/PC passe à un niveau supérieur. Le PS menace. Il ne peut à la fois subir "les attaques répétées de la direction communiste" qui dénonce son "virage à droite" et, "le jour venu, ouvrir toutes grandes les portes des mairies à ceux qui, à l’approche des élections municipales, et pour les besoins d’une élection, auraient subitement baissé le ton".
12 Octobre : François Mitterrand en rajoute : "C’est le parti communiste qui tire le grand capital de l’eau" déclare-t-il, "sans la main tendue du PCF, le capitalisme se noyait".
La réponse du PC ne tarde pas. Dès le lendemain à l’émission "cartes sur table", Georges Marchais enterre le désistement automatique pour le candidat de gauche le mieux placé. "Une formule périmée" précise-t-il.
On peut mesurer à quel point les discussions entre partenaires de la gauche d’aujourd’hui font pâle figure à côté de ces vigoureuses empoignades. "L’union est un combat" disait-on alors. Effectivement, ces volées de bois vert n’empêcheront pas les frères ennemis, quelques mois plus tard, de gagner ensemble les élections et de se retrouver dans le même gouvernement !
20 Octobre : Rocard prend Mitterrand de vitesse. De sa mairie de Conflans-Ste-Honorine, il annonce son intention de proposer aux socialistes d’être leur candidat pour "construire le socialisme de la liberté, de la justice, de la responsabilité, de l’autogestion".
Pendant ce temps, Giscard est en Chine et annonce triomphalement la vente à ce pays de deux centrales nucléaires.
A Plogoff Amélie Kerloc’h, première adjointe, remplace Jean-Marie à la tête de la commune. Femme de marin et femme de caractère, elle était présente à tous les moments critiques de l’occupation de Plogoff. Chacun ici lui fait confiance.
8 Novembre : c’est le dernier délai fixé par le PS pour présenter sa candidature à la candidature. Mitterrand s’est amusé jusqu’au dernier moment.
Il se présente.
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