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Extrait de : PLOGOFF, un combat pour demain. Chronique d’une victoire contre le nucléaire. Le livre.

 

 

 

22 février 1979. Georges Marchais, secrétaire général du Parti Communiste fait l’honneur de sa visite aux bretons.

 

La tournée commence par une rencontre avec les journalistes à Rennes. Au programme, l’Europe. Il faut s’opposer par tous les moyens à l’entrée des grecs, des espagnols et des portugais. Morceau d’anthologie internationaliste :

 

" L’entrée dans la Communauté de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce, aura des conséquences lourdes pour la construction et la réparation navales, l’industrie électronique et l’agriculture. Espagnols, Portugais et Grecs ont une main-d’œuvre payée deux à trois fois moins qu’en France. La concurrence sera dure pour l’industrie et les produits bretons". Un journaliste fait remarquer l’intérêt de l’intégration européenne pour les ouvriers espagnols, portugais et grecs. La réponse est prête : "Je suis comptable et responsable des ouvriers français ! ".

 

Pourquoi Georges Marchais trouve-t-il si important de venir agiter, devant les yeux des travailleurs bretons, le chiffon rouge de l’étranger menaçant leurs emplois ? En réalité une raison bien plus sérieuse justifie cette visite : la question du nucléaire.

 

Laissons à d’autres le soin d’analyser l’attachement des dirigeants du Parti Communiste pour l’industrie nucléaire. Disons qu’à cette époque il était sans nuances. Illustration : en octobre 80, Georges Marchais ira à La Hague, ce temple des temps nucléaires, révéler les cinq commandements du parti pour "faire du nucléaire un atout pour la France". Parmi ceux ci la poursuite du retraitement et la mise en oeuvre des surgénérateurs "moyen extraordinaire de revalorisation de l’uranium et du plutonium".

 

Engagement sincère.

 

En Bretagne, la consigne semble être mal passée. En tête du cortège des 15 000 manifestants rassemblés à Brest le 23 septembre 1978, et aux côtés de Jean-Marie Kerloc’h, le maire de Plogoff, se trouvaient les élus communistes du Nord-Finistère.

 

Au sein même de la manifestation, les jeunesses communistes distribuaient un tract : "Non au nucléaire en Bretagne", affirmaient-ils. "L’implantation de centrales (comme en RFA ou aux USA il y a quelques années) présente de nombreux dangers : protection de la population, stockage et élimination des déchets, centrales qui ne sont rentables qu’une dizaine d’années, les réactions nucléaires qui ne sont pas toujours maîtrisées... On ne peut pas se permettre de faire courir ces risques là à la population".

 

"NON LE NUCLEAIRE N’EST PAS INDISPENSABLE EN BRETAGNE" insistaient-ils en larges lettres et en précisant que "les élus communistes, parce qu’ils sont restés fidèles à leur position de refus de 75" refuseront de voter en faveur de la centrale de Plogoff.

 

Le secrétaire de la fédération du Finistère du PCF confirmait leurs propos : "Les conseillers régionaux communistes ne changeront pas leur position. Nous sommes opposés au tout nucléaire qui est dangereux et ne sert pas les intérêts de la population... Proposer une centrale à Plogoff, c’est démentiel. Partout nous allons développer la campagne contre les centrales".

 

Dans les faits, les militants communistes de la région de Plogoff et du Cap, sont parmi les plus actifs. Présents dans les comités mais aussi sur les barricades quand il le faut. Faisons leur le crédit de la sincérité : comment, pour un militant communiste, ne pas éprouver la satisfaction de se trouver au sein d’une mobilisation réellement populaire.

 

Il était vraiment urgent que la direction du parti vienne y mettre bon ordre.

 

Normalisation.

 

Georges Marchais est donc à Rennes, ce 22 février. Inutile de finasser, il faut que les choses soient claires : "La Bretagne ne peut échapper au nucléaire et si le site de Plogoff convient, je suis pour". Le propos sera répété tout au long de son "Tro Breizh" (son tour de Bretagne). A Carhaix, municipalité communiste, il enfonce le clou : "Les Bretons n’ont pas que des qualités... ils ont trop souvent voté à droite et ils votent maintenant trop social-démocrate".

 

Retenir : le danger, ce sont d’abord les socialistes. "Les Bretons intelligents savent désormais où est la vérité" conclut-il.

 

Tout cela se termine à Brest par une "Grand-messe" devant 2000 partisans parmi lesquels se sont glissés, malgré un filtrage serré, quelques antinucléaires peu avares en quolibets.

 

Naturellement, Plogoff est en état de choc : "Nous considérons que de tels propos, proférés par un responsable du parti communiste se disant au service du peuple et défendant les intérêts et les aspirations des populations locales sont inadmissibles. Faut-il rappeler à Georges Marchais que la quasi-totalité de la population de Plogoff et du Cap-Sizun a dit et dira non à la centrale nucléaire ? ". Il faut dire que le coup est rude. On se souvient encore que Louis Le Roux, conseiller municipal à Brest, conseiller régional, membre du comité central, s’était fait, il y a peu, une gloire de son vote négatif an Conseil Régional. Plus tard, le maire communiste de Carhaix et conseiller général en faisait autant au Conseil Général du Finistère. Comment ne pas réagir en lisant maintenant, dans la presse, leurs déclarations en faveur de la centrale.

 

Quand la secrétaire de la section de Plogoff du parti communiste fait, à son tour, volte face, la coupe déborde et un rassemblement houleux se produit spontanément devant son domicile.

 

Par sa voix, la section de Plogoff du PCF avait, de multiples fois, exprimé son soutien à la lutte contre la centrale. Personne n’avait oublié la réunion organisée à Plogoff par les communistes le 25 septembre 1978 dès l’annonce du choix effectué par le Conseil économique et social. Le comité de défense, les Clin, la population, avaient répondu à l’invitation. La salle Perherin avait fait le plein. Autour des militants locaux, tout ce que le département comptait en personnalités communistes était présent. Robert Pechanski, physicien nucléaire à Saclay et membre du Comité Central, apportait même la caution scientifique du Parti.

 

Forts de la position de leurs élus et représentants, les militants locaux du PC s’étaient résolument jetés dans la bagarre. Difficile ensuite de déserter et de rentrer dans le rang sans provoquer quelques réactions. La brutalité des déclarations de Marchais était d’abord une agression à l’égard des militants de la base de son propre parti. Personne, cependant, ne souhaitait faire de ceux-ci des boucs émissaires. La première réaction épidermique ne fut en aucun moment encouragée et resta sans lendemain.

 

Pourtant, dans les hautes sphères du PC, l’idée germe d’une provocation qui ferait passer Plogoff pour un repère d’exaltés.

 

André Lajoinie, président du groupe communiste à l’assemblée, est désigné pour aller sur place laver l’affront à la tête d’une délégation d’élus et responsables locaux. A Plogoff on comprend que la tentation sera forte, dans un réflexe déjà éprouvé, de lever des barricades et de bloquer les entrées de la commune. La complicité des forces de l’ordre ira-t-elle jusqu’à affronter les manifestants ? Sera-t-il possible d’éviter quelques pierres sur les carrosseries des visiteurs ? Dans tous les cas de figure, Plogoff, la commune qui refuse son entrée au chef d’un groupe parlementaire, se verra mise au pilori.

 

Dans une réunion commune avec les Clin, une alternative non-violente est imaginée qui devrait mettre les rieurs et les démocrates du côté de Plogoff. Il n’y aura pas d’affrontement car il n’y aura personne. La consigne est claire : le long de la route, les téléphones fonctionneront pour annoncer l’arrivée des intrus. Au signal chacun rentrera chez soi.

 

Les choses se passent comme prévu. Escortée par les voitures de la gendarmerie, la délégation traverse des bourgs déserts où la vie s’est retirée derrière des volets clos. La discipline et le calme des gens de Plogoff impressionnent les journalistes présents. "Qu’a voulu prouver le PC en revenant sur les lieux de ses provocations répétées ce jeudi 12 février ? ", s’interroge Pierre Duclos, directeur du "Canard de Nantes à Brest".

 

Le calme de Plogoff contraste avec la réaction déchaînée de André Lajoinie dans la conférence de presse qu’il donne après son excursion sur les routes du Cap. Frustré par l’échec de sa provocation, il évoque " la terreur semée à Plogoff par des bandes aux méthodes fascistes". Il ne sait plus où arrêter l’escalade verbale : "Nous ne permettrons pas que des émules d’Hitler recommencent sous quelque prétexte que ce soit". Que sait-il de Plogoff, interroge le journaliste. Certainement pas que cette terre a donné les premiers français libres embarqués vers l’Angleterre, qu’elle a servi de refuge et de port d’embarquement aux aviateurs alliés abattus par la DCA, qu’elle a caché les résistants transitant entre la France et Londres, qu’elle en a payé le prix. Lajoinie mesure-t-il à quel point il a détruit, ce jour là, l’image de son parti ?

 

Naturellement les Clin sont unanimes à dénoncer la trahison. Ils constatent rapidement qu’ils auront, à présent, des adversaires, non seulement dans les sphères du pouvoir, mais aussi sur le terrain. Cela se traduira par des affiches lacérées ou recouvertes de slogans dénonçant le "retour à la bougie". Parfois même par des menaces physiques les soirs de collage. Dans leur masse, cependant, beaucoup de sympathisants et adhérents du PC resteront favorables à la lutte antinucléaire. Celle ci devra, par contre, se priver de leur présence active. Beaucoup en garderont le regret d’une occasion manquée.

 

Une position mi-chou, mi-chèvre.

 

Le virage communiste est pain béni pour les socialistes. Les communistes sont chez eux dans les ports du Sud Finistère. Les fêtes du "parti" sont des moments rares qui voient "l’Internationale" résonner au dessus des coiffes bigoudènes affairées autour des stands. Charles Tillon, le chef de la résistance communiste, a fait ses premières armes à Douarnenez où il a mené la célèbre grève des "penn sardin", ces employées des conserveries rassemblées derrière le drapeau rouge des luttes révolutionnaires. La ville est, depuis ce temps, fidèle au PC. Sur le même secteur, le parti socialiste commence à lui faire une concurrence de plus en plus efficace.
Louis Le Pensec député socialiste sud-finistérien, était présent au premier rassemblement antinucléaire de Brest. Il ne cache pas son hostilité à la centrale. La défection de Georges Marchais donne à son parti l’occasion de capitaliser la contestation. Sans doute, aussi, les socialistes se souviennent-il de la diatribe contre le vote "social-démocrate" des bretons. Le communiqué qu’ils font paraître n’est pas tendre :

 

"Les socialistes bretons ont pris acte de la nouvelle position exprimée par le secrétaire général du parti communiste français, qui vient désormais faire chorus avec ceux qui plaident la soumission à la fatalité du nucléaire.
 

Après l’atome militaire, c’est l’atome civil qui rejoint maintenant, dans la logique du virage à 180°, la doctrine des communistes français. On imagine sans peine la surprise des conseillers régionaux, généraux et municipaux communistes de Bretagne qui, il y a quelques semaines à peine, se sont tous prononcés contre la centrale de Plogoff.
Le parti communiste vient de déclarer forfait, dans le débat antinucléaire. Les socialistes, quant à eux, continueront à refuser le chantage aux coupures d’EDF et à proposer des solutions concrètes, pour une alternative poussée, notamment sur les énergies nouvelles, les économies d’énergie et une société de moindre gaspillage." (Ouest-France, 24-25 février 1979).

 

Contre la centrale les socialistes ? En Bretagne certainement. En ce qui concerne les niveaux supérieurs, on le croira jusqu’à ce que Michel Rocard vienne éclairer notre lanterne. Lui aussi s’est lancé dans un "Tro Breizh" électoral. Il est au meilleur de sa forme et en compétition avec Mitterrand pour la candidature de son parti aux présidentielles. Il est chez lui en Bretagne où ses partisans règnent sur toutes les instances. Mais c’est aussi un "présidentiable" qui doit calmer leurs ardeurs militantes. Le 4 mai, à Brest, au siège du parti socialiste, il reçoit la presse pour une déclaration en forme de douche froide :

 

"Le nucléaire, moins on en fait, mieux on se porte. Mais je ne suis pas persuadé qu’on puisse ne pas en faire du tout. On ne pourra pas éviter un peu de nucléaire... Le parti socialiste ne donne pas de consignes d’opposition, chaque fédération restant juge de son attitude. Mais nous soutenons la Fédération du Finistère quand elle s’oppose à l’implantation d’une centrale sur son territoire".

 

De retour à Paris, il ira plus loin dans le renoncement en "adjurant ses amis écologistes d’avoir une vision globale" des problèmes énergétiques. C’est à dire, en bref, d’accepter le nucléaire.

 

En attendant, ce sont ses amis socialistes bretons qui lui répondent. La section socialiste du Cap-Sizun se déclare "indignée" par la phrase de Michel Rocard. Ses "amis écologistes" ne sont pas en reste. La coordination antinucléaire bretonne estime que, "par rapport aux propos tenus par Michel Rocard, ceux de Georges Marchais huit jours plus tôt avaient au moins le mérite d’être clairs". Les Clin et comités Plogoff invitent les militants de ces partis à la résistance : " Nous disons " Non à tout nucléaire" et invitons tous les militants socialistes, communistes ou autres à dénoncer les contradictions de leurs partis et à rejoindre dans leurs luttes sur le terrain les comités antinucléaires en vue de proposer une alternative au nucléaire fondée sur le développement des énergies renouvelables, les économies d’énergie et la suppression du gaspillage."

 

Le PSU-Bretagne constate, de son côté, que "en huit jours, les deux grands partis de la gauche traditionnelle jettent les masques" et que "Rocard répète avec des roses ce que Marchais avait jeté avec brutalité à la tête des antinucléaires". L’UDB (Union Démocratique Bretonne) ironise "Ptêt ben qu’oui, ptêt ben qu’non" et constate, elle aussi, que Rocard et Marchais c’est blanc-bonnet et bonnet-blanc.

 

Matraqués par la propagande de EDF et du pouvoir giscardien, trahis par les partis de gauche... comme si la situation n’était pas déjà assez compliquée, le mouvement antinucléaire devra, en plus, compter avec les bombes.

 

Nuits bleues.

 

14 janvier 1979, une explosion détruit deux pylônes de la ligne à haute tension sortant du poste de connexion de la centrale nucléaire de Brennilis. La vieille Graphite-gaz ne produit poussivement que ses 70 Mw mais elle a été un maillon essentiel de la course à la bombe nucléaire. Elle reste un symbole fort et, surtout, la rumeur court d’un possible surgénérateur sur le site.

 

L’action est revendiquée par le FLB-ARB (Front de libération de la Bretagne, Armée Révolutionnaire Bretonne) qui déclare vouloir combattre EDF de façon déterminée "ainsi que les notables qui travaillent à préparer les gens à l’arrivée des centrales". En réaction à Malville, l’action violente bénéficie d’une relative tolérance de la part de la population. Les cibles du FLB sont attentivement choisies, les bombes n’ont jusqu’à présent pas fait de victimes, elles répondent à la violence policière. C’est pourtant une spirale dangereuse, nul ne sait quels drames elle peut annoncer. Aucune provocation n’est d’ailleurs à exclure. On a parlé, ici et là, d’attentats provoqués, ou au moins encouragés, par certains organismes de sécurité. Les méthodes utilisées contre Greenpeace et le Raybow-Warrior ne datent pas de Charles Hernu !

 

A peine Georges Marchais et Michel Rocard ont-ils tourné les talons que cinq bombes explosent à nouveau le 6 mars à deux heures du matin. Trois visent les locaux de EDF à Paris, Brest, Guingamp. Deux visent les forces de l’ordre : une à la gendarmerie de Brest, la dernière au commissariat des renseignements généraux de Saint-Brieuc. Une sixième a été désamorcée à Lannion.

 

Les attentats ne sont plus simplement symboliques. A Paris, une cavité de plusieurs mètres carrés a été creusée dans le mur de l’agence située rue de Vienne. Les vitres et les vitrines du quartier ont volé en éclats. A Lannion le dispositif de mise à feu qui a été découvert était un mécanisme d’horlogerie réglé sur 2 heures et relié à une poubelle pleine d’explosifs. Les dégâts auraient pu être considérables. A Brest, le siège de EDF est pulvérisé. A la gendarmerie la charge a explosé à 5 mètres du lieu où se trouvait le planton de permanence. Les militants antinucléaires savent que si le pire se produit, leurs adversaires n’hésiteront pas devant l’amalgame.

 

Le dos au mur.

 

Un observateur attentif aurait toutes les raisons de considérer la situation des antinucléaires comme critique. EDF utilise sa puissance financière pour acheter l’influence des élus, attirer l’adhésion des milieux socioprofessionnels et saturer la population de sa propagande. Les partis de la droite gouvernementale et le parti communiste les combattent, le parti socialiste pratique le double langage et les dirigeants des centrales syndicales gardent leurs distances. Pour tout arranger, les groupes tentés par l’aventure de la violence viennent perturber leur message.

 

Pourtant, s’il veut avoir une chance de gagner, le mouvement antinucléaire a besoin de l’approbation et du soutien actif de la masse de la population. Difficile équation.

 

Fort heureusement les comités Plogoff ne se posent pas ces questions. Ils avancent.

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Oxygène et fête à Feunteun Aod.

 

Au début du mois de mai 79, Jean-Marie Kerloc’h réunit le comité de défense pour un état des lieux. Le GFA compte déjà une dizaine d’hectares en gérance ; 1420 porteurs de part disséminés sur toute la France et même à l’étranger ; 134.681 F (20 500 euros) bloqués sur un compte au Crédit Agricole. Il faudra bientôt installer une activité agricole sur un terrain depuis des décennies livré aux ajoncs. L’idée d’une ferme-bergerie est avancée. Une date est retenue : celle du 3 juin, journée internationale contre le nucléaire. On en fera une "marche d’oxygénation" qui partira du bourg pour atteindre le site. Des milliers de ballons portant le sigle "danger radioactif" seront lâchés, ils testeront la diffusion du nuage nucléaire qui, comme à Three Mile Island, serait émis de Plogoff en cas d’accident.

 

La fête du 3 juin est une réussite. Plogoff est au rendez-vous de la mobilisation mondiale : 15000 personnes vont reprendre le chemin de Feunteun Aod. Le grand moment sera pourtant, fin août, l’inauguration de la bergerie.

 

L’idée de la bergerie a fait son chemin. Le GFA n’est pas très riche mais le Larzac est là pour rappeler que le travail militant remplace l’argent. Naturellement il n’est pas question d’élever une magnifique "cathédrale" comme celle que des milliers de mains ont dressée pierre par pierre à la Blaquière sur le plateau du Larzac. Il faut donner rapidement la mesure de la détermination des opposants à la centrale. Un bâtiment agricole classique suffira.

 

Pendant trois semaines, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes se font terrassiers, maçons, charpentiers et bientôt, un bâtiment d’une vingtaine de mètres de longueur s’abrite derrière un talus. Plus tard une haie sera plantée. Naturellement, la construction n’a fait l’objet d’aucune demande de permis de construire.

 

L’inauguration a lieu le 25 août. 10 000 personnes sont au rendez-vous. Les sandwichs, les soupes de poisson, les gâteaux bretons, les "fars" et les "kouign-aman" sont rapidement avalés par la marée humaine qui se presse aux stands. Les badges, les auto-collants font entrer l’argent dans les caisses et surtout 130 nouveaux porteurs de parts du GFA portent le total à 2000. Parmi les visiteurs, des gens du Cap et de Bretagne mais, déjà aussi, des sympathisants venus intentionnellement d’autres régions ou même de l’étranger.

 

Jean-marie Kerloc’h est entouré des élus de la région quand il coupe le ruban vert de l’inauguration. Des élus socialistes mais aussi Michel Mazéas, maire communiste de Douarnenez qui, après une visite à Three Mile Island, ne peut plus cacher ses doutes. Dans la foule, également, deux représentants du Larzac qui annoncent le futur jumelage des deux sites et une jeune femme indienne, militante antinucléaire aux USA, venue à Douarnenez pour exposer les problèmes de son peuple. Chants, danses et musique prolongent l’après midi. La journée se termine par un fest-noz sur la place de la mairie.

 

EDF reprend les hostilités en septembre. Un pavé pesant ses trois kilogrammes arrive sur le bureau des maires, des responsables syndicaux, des chambres consulaires et des journalistes. On y trouve, décrit, un trou de 24 hectares, 17 millions de tonnes de rochers à extraire, 400 000 mètres cubes de béton, 50 000 tonnes d’armatures métalliques, 750 000 tonnes de coffrage et 13 milliards de francs. Des chiffres et encore des chiffres qui finiront par donner le tournis et ramener de vieux réflexes.

 

Résister à la tentation.

 

Le 13 novembre les maires du Cap Sizun se réunissent en mairie de Plogoff pour mettre au point le principe d’une coopération intercommunale au cas où...

 

" Les choses sont très claires, répète Jean-marie Kerloc’h, nous nous sommes prononcés contre la centrale, nous sommes toujours contre et le resterons. Mais, si elle doit venir, elle viendra cette centrale. Ce n’est pas nous qui pourrons hélas ! empêcher cela. Alors il nous faut adopter une position commune".

 

Stupeur à Plogoff.

 

Comment ? Le capitaine abandonne le navire au moment où s’annonce la tempête ? Les manifestations devant la mairie se font houleuses. Le maire convoque un conseil municipal pour le dimanche matin à 10heures.

 

Le conseil est dramatique, la tension accumulée dans une résistance tous-azimuts se libère, les amis d’hier se déchirent. Jean-marie a bien un crâne de breton têtu, il persiste et demande un vote de confiance : 12 approuvent sa démarche, cinq sont contre. Que les opposants démissionnent ! Exige-t-il. Refus de ceux-ci qui estiment représenter la pluralité des opinions existant dans la population et s’indignent de la prétention du maire à vouloir un conseil municipal "à sa botte".

 

Les Clin sont atterrés. Vont-ils devoir affronter un nouvel ennemi au sein même de la commune ? "Le langage du profit n’est pas de mise, disent-ils. Nous ne sommes pas là pour gérer un cimetière mais pour agir avec tous les porteurs de parts du GFA, bretons, français et étrangers ; avec tous ceux qui ont travaillé à la bergerie ; avec tous ceux qui luttent dans notre région et ailleurs. Plogoff n’est pas seul. Il y a, à travers le monde, un vaste mouvement de gens qui ont pris conscience du danger et qui luttent pour la même cause... Pour nous la lutte antinucléaire ne peut reposer sur une seule personne. C’est un large mouvement de masse. Aucun compromis. Aucun double langage. Nous refusons le nucléaire et aucun chantage ni aucune promesse n’entameront notre détermination. La lutte continue à Plogoff comme ailleurs".

 

Coup de théâtre. Le maire, ses trois adjoints et sept conseillers démissionnent dans le but de provoquer une réélection. Les cinq conseillers critiques pensent avoir la population pour eux ? " C’est le verdict populaire qui décidera qui a tort, qui a raison dans cette affaire" explique le maire.

 

Jean-marie Kerloc’h est fatigué. Marin retraité de la "Royale", il est entré à la mairie en 1965 pour se retrouver maire en 71 "sans avoir rien brigué", dit-il. En 77 il était reconduit mais pour des ennuis de santé il pense à démissionner. Déjà il avait dû suivre la réunion du conseil général de son lit d’hôpital. Il ne comprend pas la manifestation et les insultes devant son domicile. "Ils n’ont jamais fait cela au domicile ou devant la permanence du député ou de l’ancien conseiller général qui, pourtant, se sont prononcés pour la centrale ! ". Comment ne voit-il pas qu’il n’y a rien de plus violent qu’un amour déçu ?

 

La situation est délicate pour la préfecture. Si le préfet refuse ces démissions, les conseillers devront les reformuler par lettre recommandée. La démission deviendra alors effective dans un délai de un mois et de nouvelles élections devront se tenir début janvier. Le problème est qu’au même moment doit démarrer l’enquête d’utilité publique. On imagine sans mal la tension d’une campagne électorale en pleine enquête. Le préfet dénoue la crise en refusant la dissolution complète du conseil. Seuls les 11 postes des démissionnaires seront remis au vote. Dès lors Jean-marie Kerloc’h et ses amis estiment que le jeu n’en vaut plus la chandelle. Si la population ne peut pas choisir entre ses opposants et lui, autant rester. Par contre le maire abandonne la présidence du comité de défense car, dit-il "Ce que je regrette surtout, c’est d’avoir pris la direction du comité communal antinucléaire ; une telle responsabilité n’était pas compatible avec la gestion de la commune".

 

Sage décision. A tout pouvoir, il faut un contre-pouvoir. Le comité de défense de Plogoff se donne une nouvelle présidente, Annie Carval, une jeune femme paisible et déterminée qui, lancée brutalement dans l’arène, fera preuve d’une clairvoyance et d’un courage exceptionnels.

Jean-marie Kerloc’h n’aura aucun mal à retrouver l’estime de ses concitoyens. Son obstination à ne pas reculer d’un pied devant les mesures d’intimidation, son attitude déterminée face aux forces de répression, en feront l’un des symboles forts de la lutte. Les Clin et les comités Plogoff poussent un soupir de soulagement. Rien de plus fort qu’une solidarité qui survit à l’épreuve.

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