10 juin 1984. Manifestation du CODENE à Crozon.
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Au coeur de la cible nucléaire. Sous la menace des Pershing et des SS20.
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Intervention du représentant du CODENE de Bretagne.
Le thème de la guerre et de la paix vous proposait plusieurs rassemblements ce week-end.
Vous auriez pu être sur les plages de Normandie pour fêter le souvenir du dernier massacre.
Vous auriez pu vous rendre à Brest pour admirer le magnifique porte-avions américain qui vient d’arriver.
Vous avez choisi d’être ici et nous vous en remercions.
Beaucoup d’entre nous se sont déjà rencontrés. C’était au Larzac l’été dernier, c’était à Paris en Octobre. Nous agissions alors à l’unisson des grandes manifestations européennes organisées par les mouvements de Paix indépendants contre l’installation des Pershing et des SS20.
Aujourd’hui le CODENE de Bretagne et les organisations qui le soutiennent veulent attirer l’attention sur la force de frappe française.
Bien que ne faisant pas partie de l’OTAN la France n’est pas neutre.
- Elle n’est pas neutre quand elle soutien Reagan et l’implantation des Pershing contre l’écrasante majorité de la population allemande.
- Elle n’est pas neutre quand elle produit la bombe à neutrons.
- Elle n’est pas neutre quand elle poursuit ses essais dans le Pacifique.
- Elle n’est pas neutre quand elle perfectionne son arsenal nucléaire pour l’adapter à un conflit en Europe.
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Nous sommes, en ce lieu, devant un des éléments essentiels de cette force de frappe. Nous avons choisi de marcher jusqu’ici parce que nous pensons que les mots sont insuffisants à décrire la monstruosité que vous avez sous les yeux.
Vous voyez les entrées des souterrains où sont stockés et assemblés les missiles qui arment les sous-marins nucléaires français. 16 missiles par sous-marin. La puissance de 500 Hiroshima.
Car voilà la vocation de la force nucléaire française : être capable de tuer au moins cinquante millions de personnes, c’est à dire l’équivalent de notre population. 50 millions de femmes, d’hommes, d’enfants, pris en otage dans la partie de poker jouée au dessus de leurs têtes par leurs dirigeants. Des centaines de millions d’européens dont la vie et la mort dépend de quelques dizaines d’hommes.
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Depuis presque 20 ans que la base de l’Île Longue existe, les habitants de cette région savent qu’ils vivent au centre d’une de ces cibles nucléaires qui seront atteintes dès les premières minutes d’un conflit.
L’histoire nucléaire de cette presqu’île a commencé en1965 par un mot historique du général De Gaulle. Face à la rade il a déclaré : « La géographie a peut-être fait de Brest un haut lieu de notre destin ».
Les choses ont ensuite été rudement menées : 400 propriétaires expulsés – 6 exploitations agricoles supprimées. A leur place : des millions de tonnes de béton – des kilomètres de barbelés.
L’époque n’était pas encore aux résistances comme celles du Larzac et de Plogoff.
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La presqu’île est à l’image du Finistère : une zone peu à peu grignotée par l’armée. Des centaines d’hectares, des dizaines de kilomètres de côtes sont enfermés dans les barbelés.
La rade de Brest vit à 50 % de l’activité militaire. Pourtant nous nous refusons à dire que cette activité est créatrice d’emplois. D’abord parce qu’un emploi dans la fabrication d’armes c’est plusieurs emplois civils en moins. Ensuite parce que ce dangereux voisinage empêche toute implantation de nouvelles branches d’activité.
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Considérons par exemple la pollution radioactive. Elle existe. Ici comme ailleurs des accidents ont lieu. Mais à la différence de ce qui se passe dans d’autres pays, ici nous ne le saurons jamais. Des prélèvements sont faits régulièrement mais les résultats n’en sont jamais communiqués. Pas un seul élu, pas un seul maire des environs de la rade n’est en mesure de connaître le niveau de pollution atteint. Pourtant la rade produit 3000 tonnes d’huîtres et de coquillages en tous genres. Voilà encore un domaine où le changement se fait attendre. Cette politique du secret est inadmissible dans un pays qui se veut démocratique.
Enfin la plus grave nuisance est certainement constituée par la tension psychologique que provoque le fait de vivre sous une menace permanente. Nous savons tous ici que nous sommes totalement démunis en cas de crise grave. Bien sûr pas d’abris. La France ne peut pas à la fois se payer un armement et protéger sa population comme le font la Suisse, la Suède, la Norvège.
De toutes façons à quoi serviraient des abris.
- Aucun abri ne peut protéger de l’effet de souffle dans une zone cible.
- Aucun abri ne peut protéger des retombées radioactives.
Une étude publiée dans le journal Nukleel indique qu’un sel coup porté sur Brest et l’Île Longue par un missile de 1 mégatonne suffirait à supprimer la quasi totalité de la population bretonne.
La seule mesure officielle envisagée c’est l’évacuation de la population dans les quelques instants précédant l’attaque, c’est à dire en 6 minutes : beau record !
Si on y réfléchit un moment on constate qu’il ne serait même pas nécessaire d’utiliser l’arme nucléaire pour briser psychologiquement et physiquement la population bretonne. La simple menace, l’instauration d’un climat de tension, seraient suffisants pour déclencher une panique dont nous n’osons pas imaginer le résultat. Il ne faudrait pas longtemps pour que les grands axes soient bloqués. La population serait alors prise dans une nasse. On imagine la suite. Les scènes d’exode dans l’est lors de la dernière guerre nous en donnent une faible idée.
Les apprentis sorciers qui prétendent nous protéger à coup de mégatonnes nucléaires feraient bien de nous éclairer sur la façon dont ils envisagent une telle situation. Nous leur déclarons que nous refusons la prédiction du général De Gaulle. Nous refusons que la géographie leur permette de concentrer ici tous les risques que font courir à la France leur politique nucléaire.
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Ce que nous demandons au pouvoir de gauche, c’est de prendre, face à l’opinion publique mondiale, des initiatives concrètes en faveur de la désescalade nucléaire.
Ce que nous proposons c’est le gel de l’armement nucléaire français c’est à dire l’arrêt de sa modernisation et l’engagement réel de la France dans une politique visant à débarrasser l’Europe de l’Ouest et de l’Est des armes nucléaires.
Quelles sont les chances d’aboutir de notre combat ? Nos amis européens s’étonnent de la lenteur de la mobilisation en France. Le contexte politique de notre pays en est en partie responsable. On ne peut pas ne pas relever l’acharnement avec lequel les 4 grands partis cherchent à limiter notre audience. Ici même les municipalités de droite comme de gauche ont tout tenté pour nous faire renoncer à notre manifestation.
Cependant des forces se rassemblent.
- C‘est sensible dans les cinq départements bretons où déjà existent 12 comités du CODENE.
- C’est sensible par le fait que les organisations qui nous soutiennent et appellent avec nous à ce rassemblement ont toutes une audience importante en Bretagne.
Il faudra prolonger ce constat, il faudra préparer ensemble les campagnes à venir. Il faudra également convaincre ceux qui sont absents aujourd’hui et dont nous savons pourtant qu’ils peuvent être des nôtres.
Ailleurs en France, la création du CODENE, mouvement de paix indépendant des deux blocs, a été un évènement attendu. Les initiatives des différentes régions ne sont plus isolées. Les différentes associations ont ainsi une structure dans laquelle elles peuvent agir ensemble. L’espoir d’un mouvement français d’envergure se concrétise.
D’autres rassemblements nous réunirons. En particulier nous reviendrons dans la presqu’île de Crozon, encore plus nombreux et encore plus résolus.
Nous vous disons donc à bientôt et merci.
Gérard Borvon. 10 juin 1984.
intervention pour le CODENE de Bretagne.
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