Stop Essais !
13 juin 1995. Quelle mouche a piqué Jacques Chirac ? A peine un mois après son élection il annonce, lors de sa première conférence de presse, que la France va reprendre ses essais nucléaires dans le Pacifique. Une façon de marquer la rupture avec François Mitterrand qui avait décidé leur arrêt en avril 1992 ?
1992. le moratoire.
En annonçant que la France avait décidé de suspendre, en cette année 92, ses essais nucléaires dans le Pacifique, Pierre Bérégovoy avait lancé un pavé dans la mare du monde militaro-industriel français. La décision, prise personnellement par François Mitterrand était accompagnée d'une lettre envoyée aux dirigeants des puissances nucléaires pour leur proposer « la conclusion rapide des négociations en cours sur le désarmement stratégique et l'interruption des essais nucléaires ». Étonnant changement de cap alors que Pierre Joxe, ministre de la défense, réaffirmait en octobre de l'année précédente que la France « devra faire des essais tant qu'elle aura des armes nucléaires ». Le moratoire, prévu pour un an, a été prolongé d'année en année. C'est ce qu'a tenu à rappeler François Mitterrand en mai 1994, au moment de quitter le pouvoir. L’objectif de son discours étant de bien marquer que, malgré la cohabitation, l'arme nucléaire restait sa chasse gardée. Il s'amusait ainsi à rappeler qu'un journaliste lui ayant un jour demandé : « L'armement nucléaire, la bombe atomique, c'est quoi ? », il avait répondu « c'est le Président de la République, et donc c'est moi ». Dans un très long exposé, il s'employait alors à retracer l'histoire complète de la politique nucléaire de la France. Et surtout à justifier les essais qu'il avait lui même commandés en Polynésie. Essais dont il osait même affirmer que à Moruroa « les radiations sont plutôt plus faibles que devant le métro Caumartin »!
Se présentant à présent en nouvel apôtre de la paix, c'est un véritable défi qu'il lançait à son successeur : « Il n'y aura pas avant le mois de mai 1995, c'est-à-dire dans un an, il n'y aura pas d'autres essais ». Et, à ceux qui diraient que « dès qu'il aura tourné le dos, on verra bien ce qu'on fera ». Il répondait par avance : »Eh bien, je vous dis, mesdames et messieurs : après moi, on ne le fera pas ! » ajoutant « je fais confiance à mon successeur et à mes successeurs, ils ne pourront pas faire autrement. »
Ils ne pourront pas faire autrement ? Comment Chirac pouvait-il ne pas relever le défi ! Un mois à peine après son élection il invite un parterre de journalistes pour leur annoncer sa décision. Reprendre les essais ! « Malheureusement, nous les avons arrêtés un peu trop tôt, en avril 1992, c’est-à-dire avant que la série qui devait nous permettre d’achever, ne soit terminée », affirme-t-il. Il a, dit-il, consulté tous les experts civils et militaires, compétents et responsables « pour qu’ils me donnent leur sentiment sur les conséquences de cet arrêt, la possibilité de maintenir le moratoire ou au contraire la nécessité de terminer les essais interrompus... Je peux vous dire qu’ils ont été unanimes ». Des experts ? Ceux qui rongent leur frein depuis que Mitterrand les a privés de leur jouet ?
1995. huit essais programmés.
Au delà de l'hexagone c'est la stupéfaction. Les manifestations se multiplient. En Australie, les 15000 manifestants réunis à Sydney constatent que l'annonce de Chirac coïncide avec la commémoration des cinquante ans de Hiroshima. Dénonçant "Hiro-Chirac", ils défilent au chant de « Frère Jacques, reprends ta bombe ». Au Chili, des centaines de manifestants assistent au départ du voilier écologiste Siddhartha, dont l'équipage compte rallier l'atoll de Moruroa en quarante jours pour s'opposer, avec 130 autres navires, à la reprise des essais nucléaires dans le Pacifique Sud. En Italie, les Verts ont organisé une opération devant l'ambassade française à Rome, étalant des mannequins de cire nus et déchiquetés sur le trottoir afin de symboliser le danger mortel que fait toujours courir la course aux armements nucléaires. « Égalité, Fraternité, Radioactivité », ironisaient les opposants aux essais nucléaires massés devant l'ambassade de France à Budapest en appelant leurs concitoyens à boycotter les produits français. A Stockholm, des centaines de manifestants du mouvement « La Paix suédoise » ont demandé au gouvernement de suspendre tous les programmes de coopération militaire avec la France. En Espagne, des rassemblements se sont tenus devant les représentations françaises à Madrid et à Barcelone. Naturellement l'annonce provoque une vive émotion au Japon. René Vautier, notre cinéaste breton célèbre pour son film « Avoir 20 ans dans les Aurès », y est présent pour témoigner à l'occasion des cinquante ans de Hiroshima et Nagasaki. Le film qu'il y réalise sous le titre « Hirochirac 1995 » n'aura évidemment aucune publicité dans les médias français. Il dort toujours dans les archives de la cinémathèque de Bretagne.
A Tahiti, dans le Pacifique c'est la stupéfaction. Cette annonce est une vraie provocation. La piste de l'aéroport de Papeete est envahie. Les affrontements avec les forces de l'ordre sont d'une violence extrême. Le feu est mis au terminal de l'aéroport. Dans la ville des bâtiments sont la proie des flammes. Les polynésiens n'oublieront jamais l'affront. En Juillet 2011, la place Jacques Chirac de Papeete a été débaptisée et renommée « place du 2 juillet 1966 » en mémoire du premier essai nucléaire à Moruroa. Le Président de la Polynésie, l'indépendantiste Oscar Temaru présidait cette inauguration. « On doit rappeler à nos enfants ce qui s'est passé dans ce pays, parce que les conséquences, nous en souffrons encore, pour ce qui est de la santé, l'environnement et le bouleversement de la société », déclarait Roland Oldham, président de Moruroa E Tatou, la principale association de vétérans des sites d'expérimentations nucléaires. Nous reparlerons de ces vétérans.
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Et en France métropolitaine ? Réaction molle de la gauche, approbation enthousiaste de la droite. C'est un collectif d'associations qui, sous le nom de « Stop Essais », s'organise pour s'opposer à cette nouvelle folie. La capitale ne brille pas par sa mobilisation, c'est donc en Bretagne, à l’Île Longue, qu'allait avoir lieu la plus importante des manifestations.
15 000 manifestants à l’Île-Longue.
Marche joyeuse et colorée de Crozon jusqu'au port du Fret. Jamais la Presqu’île n'avait rassemblé autant de manifestants.
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Les militants locaux avaient choisi un parcours qui passait devant l'entrée du site de Gwenvenez, là où sont entreposés les missiles. Une découverte pour la plupart des participants qui viennent de la France entière. La plus importante des manifestations contre les tirs français dans le Pacifique, annonce la presse régionale.
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Au bout de 6 tirs, sur les 8 programmés, les essais se sont arrêtés. Cependant ceux-ci ont réveillé de vieilles douleurs chez les irradiés civils et militaires des essais précédents.