Réservé aux abonnés
La France s’est-elle compromise en facilitant des bombardements arbitraires de civils et la répression d’opposants au régime militaire égyptien pour doper ses ventes d’armes ? Une fuite de documents confidentiels semble l’attester.
Le président égyptien al-Sissi (au centre) accueilli chaleureusement par Jean-Yves Le Drian (à droite) lors d’une visite officielle à Paris, en 2017. (EPA-EFE)
Sous couvert d’antiterrorisme, l’État français a-t-il fermé les yeux, voire facilité, des exécutions arbitraires, perpétrées par le régime égyptien pour qu’il achète des armes tricolores ? C’est ce que semble démontrer la divulgation de centaines de documents classifiés par l’ONG Disclose, en partenariat avec Télérama et le magazine de France 2 Complément d’Enquête, diffusé ce jeudi soir.
Selon ces enquêtes, l’Égypte aurait détourné des moyens de renseignement, fournis par la France pour lutter contre le terrorisme, pour cibler des civils suspectés de se livrer à des trafics avec la Libye. Les forces françaises auraient ainsi été impliquées dans au moins 19 bombardements, entre 2016 et 2018, causant des dizaines de morts. Alertées de ce détournement à de multiples reprises par la Direction du renseignement militaire, les autorités auraient laissé faire. En 2014, elles ont aussi autorisé trois industriels tricolores à fournir à l’Égypte des équipements de surveillance destinés à créer « une NSA égyptienne ». Les renseignements fournis par ce matériel high-tech auraient permis l’arrestation d’opposants, ainsi que des membres de la communauté LGBT.
Issu du rapport parlementaire annuel sur les exportations d’armements, ce graphique projette l’évolution des commandes passées par l’Egypte à la France. Celle-ci fait un bond juste après le coup d’Etat du Maréchal Al-Sissi, en juillet 2013, durant la mandature de François Hollande. Jean-Yves Le Drian est alors son ministre de la Défense.
En creux, ces documents décrivent une « idylle », née au lendemain du coup d’État qui a porté le Maréchal Abdel Fattah al-Sissi au pouvoir en juillet 2013. Un régime parmi les plus répressifs au monde. Selon le Département d’État US, 65 000 opposants croupiraient dans ses geôles et 3 000 autres auraient « disparu ». Débutées sous l’ère Hollande, ces relations privilégiées se sont poursuivies sous Emmanuel Macron. Fin 2020, le président français a remis la grand-croix de la Légion d'honneur à son homologue, six mois avant une commande supplémentaire de 30 avions Rafale.
Trait d’union entre les deux quinquennats : Jean-Yves Le Drian. Le ministre des Affaires étrangères est suspecté d’être l’artisan de cette « diplomatie des armes », destinée à favoriser les fournisseurs français pour satisfaire les besoins d’équipements du nouveau régime et asseoir son pouvoir. Comme l’attestent des rapports parlementaires, les commandes égyptiennes ont explosé, dès juillet 2013, pour atteindre, en 2015, plus de 5 milliards d’euros. Cette année-là, l’Égypte est devenue le deuxième client de la France après le Qatar.
Contacté, Jean-Yves Le Drian n’a pas été en mesure de formuler une réaction, invoquant ses multiples déplacements. Ce jeudi, il revenait d’une visite officielle à Djakarta, en Indonésie pour se rendre, ce vendredi, à Rome, signer le traité de coopération renforcée entre la France et l’Italie. De son côté, la ministre des Armées, Florence Parly, a annoncé l’ouverture d’une enquête interne.