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https://www.letelegramme.fr/finistere/brest/les-souvenirs-de-pierre-pommellet-l-homme-qui-a-dirige-le-chantier-de-l-ile-longue-24-11-2019-12440231.php

Pierre Pommellet a dirigé le chantier de l’Ile Longue de 1966 à fin 1969, le plus important d’Europe à l’époque. Quels souvenirs garde-t-il de cette entreprise colossale, réalisée en un temps record ?

Extrait"Il y avait des maisons secondaires à l’entrée et pas mal de fermes où l’on croisait d’ailleurs des métayers très touchants. Les expropriations nous ont émus mais il a fallu avancer."

 

Pierre Pommellet, à son bureau, en 1969. Il avait été nommé trois ans plus tôt afin de mener le plus gros chantier européen de l’époque. Pierre Pommellet, à son bureau, en 1969. Il avait été nommé trois ans plus tôt afin de mener le plus gros chantier européen de l’époque. (Photo Yves Cariou)


En 1966, vous êtes nommé, à 28 ans, à la tête de cet immense chantier. Qu’aviez-vous réalisé auparavant ?

J’étais diplômé de l’École polytechnique et de l’École des Ponts et Chaussées depuis seulement trois ans. J’avais fait des petites choses en base navale de Brest mais, au final, pas grand-chose. Très vite, j’ai senti l’ampleur du projet et la détermination du général de Gaulle sur le sujet.


Avez-vous participé au choix du site ?

Pas directement, mais j’étais allé voir l’anse Saint-Nicolas, en presqu’île de Crozon, près du Cap de la Chèvre. On avait aussi évoqué la Corse mais l’idée avait été abandonnée à cause du détroit de Gibraltar, peu pratique pour les sous-marins. Rochefort tenait la corde et surtout la rade de Brest, avec la proximité de l’arsenal.


Le Cap de la Chèvre avait également été envisagé ?

Oui, je m’y suis rendu plusieurs fois sur place mais les études ont montré que la houle était trop forte. Il aurait fallu construire une jetée de protection considérable. Avec le recul, il faut avouer que cela aurait été dommage de dénaturer un tel site. Certains avaient imaginé un long tunnel pour traverser la presqu’île. Les exigences et la pression écologiques n’étaient pas aussi affûtées qu’aujourd’hui.


L’Ile longue, en 1965, était également un endroit naturel exceptionnel…

Oui, c’était très joli et plutôt sauvage vers son extrémité. Il y avait beaucoup de fermes et un éperon rocheux impressionnant, un à-pic de 40 mètres de hauteur qui surplombait des eaux cristallines. Il y avait des maisons secondaires à l’entrée et pas mal de fermes où l’on croisait d’ailleurs des métayers très touchants. Les expropriations nous ont émus mais il a fallu avancer.


Les procédures vous ont-elles impressionné ?

Je n’ai jamais vu dans ma carrière des procédures aussi expéditives. Tout est allé très vite, il fallait finir trois ans plus tard. Après une campagne de sondages, les gros engins de terrassement ont commencé par araser les hauteurs et déposer surtout dans l’Ouest les matériaux pour étendre de 40 % la surface de la presqu’île et permettre la réalisation des voies de circulation.


Combien de personnes ont travaillé sur le chantier ?

Des milliers. On a compté jusqu’à 1 500 personnes sur le site au même moment. Parmi les seize entreprises françaises qui ont répondu à l’appel d’offres, cinq grandes sociétés ont été retenues dont l’entreprise Marc, chargée des gigantesques opérations de terrassement.


Les équipes travaillaient-elles jour et nuit ?

Obligatoire pour tenir les délais ! En deux postes de 10 heures ou trois postes de 8 heures, nuit comprise. Des Hollandais assuraient les opérations de dragage. Je me souviens qu’ils travaillaient douze heures par jour, six jours sur sept. Des solides qui s’éclipsaient avec une bouteille d’alcool fort, le septième jour, et qui revenaient le huitième.


Lors de ce chantier à marche forcée, avez-vous eu à déplorer des accidents ?

Incroyablement, très peu. J’ai mesuré combien la chance est importante pour mener à bien ce genre de projet. Nous n’avons eu que quelques incidents mais aucun mort ni blessé grave.


Comment avez-vous construit les deux bassins ?

On les a coulés dans la roche qu’il a fallu creuser à la dynamite. Entre 1967 et 1968, plusieurs centaines d’explosions ont été nécessaires. Des explosions sourdes qu’on a entendues à des kilomètres à la ronde.


Vous souvenez-vous de la visite de chantier du Général ?

C’était fin février 1969, à Landivisiau (29), où on lui a présenté une maquette du chantier. Il survolait le site en hélicoptère l’après-midi. Il a demandé qui était l’ingénieur général des travaux. « C’est ce jeune homme ? », a-t-il interrogé, un brin perplexe, du haut de ses 79 ans et de sa stature. On avait une trouille bleue, il était impressionnant. Sa démarche et son regard exprimaient une extraordinaire volonté.


Et l’après-midi même, le Général se rend à Quimper pour lancer le plan routier breton…

Projet que je vais également diriger puisque je quitte au 1er janvier 1970 mes responsabilités sur le chantier de l’Ile Longue. Je me lance dans la construction des deux grandes voies express bretonnes. Une sacrée histoire, ça aussi.


Le chantier de l’Ile Longue a-t-il été achevé dans les temps ?

Il prendra quelques mois de retard mais l’arrivée du sous-marin Le Redoutable également. Cela n’aura donc aucune incidence sur son arrivée, à l’été 1970. Je n’assisterai pas à l’inauguration de l’Ile Longue. J’y remettrai les pieds seulement, en 2010, soit quarante ans plus tard !

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