25 ans après la victoire de Plogoff, les nucléocrates français, veulent relancer l’industrie nucléaire en France et dans le monde.
Puisse l’expérience de Plogoff aider à résister.
Cet article est extrait de "Plogoff, un combat pour demain (Gérard Borvon, 2004)
25 ans plus tard que reste-t-il de la lutte de Plogoff ?
Notre première motivation avait été la défense de notre patrimoine. Qui visite le Cap Sizun et la Pointe du Raz aujourd’hui ne peut croire qu’on ait, un jour, imaginé d’y loger une centrale nucléaire.
Il faut aller dans le Cap Sizun.
D’abord longer la falaise de Feunteun Aod. La lande y est plus belle et la promenade plus solitaire qu’à la Pointe du Raz. On trouve encore, dans les ajoncs et les bruyères qui dominent la mer, les galets des lettres qui inscrivaient dans le sol notre refus de la centrale.
On peut aller à la Pointe du Raz.
Elle a retrouvé, aujourd’hui, une partie de son caractère sauvage. Qui l’aurait imaginé ? C’est Dominique Voynet, ministre "Verte", qui est venue officiellement ouvrir au public, le site réhabilité après les dégâts d’un tourisme commercial mal maîtrisé. Juste retour de l’histoire.
La mer, en vingt ans, est devenue un espace que chacun voudrait "sacré". Les marées noires, l’arrivée des polluants terrestres sur les côtes, le développement des algues vertes, sont ressenties comme un scandale, y compris par ceux qui vivent à des centaines de kilomètres du rivage. Le naufrage de l’Erika en décembre 1999 a fait naître une émotion bien plus forte que celle due à la tempête qui, au même moment, a ravagé la France et provoqué plusieurs dizaines de morts !
Aujourd’hui, un projet tel celui de Plogoff, n’aurait aucune chance d’aboutir. Les écologistes ont, au moins dans ce domaine, conquis l’adhésion d’une "majorité culturelle".
Beg-an-Fry, Saint-Jean du Doigt, Porsmoguer, Plogoff, Tréguennec, Erdeven... Faire le tour des sites que nous avons sauvés, c’est passer d’un émerveillement à un autre. Nous avons quelques raisons de nous réjouir d’avoir su préserver ce patrimoine.
Mais notre lutte était en premier lieu dirigée contre le programme électronucléaire français. Notre expérience peut-elle encore être utile ?
Plus de 20 ans après la promesse de Mitterrand d’un referendum sur l’énergie, Jacques Chirac et son gouvernement, mettent en scène une " grand-messe " dont la fonction réelle est l’habillage d’une relance du nucléaire.
Avant même que le débat soit réellement engagé, deux députés, l’un de l’UMP (Birraux), l’autre du Parti Socialiste (Bataille), publient un rapport au nom de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPESCT) sur la durée de vie des centrales et les nouveaux types de réacteurs. Ce rapport demande au gouvernement le lancement très rapide d’un réacteur de type EPR (European pressurised reactor). Présenté comme le nucléaire de « troisième génération », cet EPR n’a rien de " moderne ". Ce n’est qu’un ancien générateur, de type Westinghouse, analogue à ceux qui équipent les sous-marins nucléaires, avec quelques modifications pour en accroître la sécurité.
Dans la foulée, Nicole Fontaine, ministre déléguée à l’industrie, se prononce pour la construction rapide des premiers réacteurs qui devraient assurer, vers 2015, la relève des centrales actuelles. Pour couper court à tout débat, elle se prépare d’ailleurs, à signer un premier contrat avec la Finlande.
Jeudi 15 avril 2004 : la droite a subi un Waterloo électoral à l’occasion des régionales, Nicolas Sarkosy, ministre de l’économie et des finances, veut prouver qu’il est bien devenu l’homme fort du nouveau gouvernement. Un "débat" parlementaire sur l’énergie est mis en scène qui lui permet un effet d’annonce : l’EPR se fera !
Il y a peu de présents en séance. Courage, fuyons ! Tel semble avoir été le mot d’ordre de la plupart des parlementaires.
Aucune réaction sur les rangs de la majorité. Le dogme du nucléaire ne s’y discute même pas.
Embarras au PS. Le clan des pronucléaires y retrouve un regain de dynamisme. Michel Rocard, candidat aux futures européennes, s’est même permis de tenir à Carhaix, devant des militants CFDT finistériens médusés, des propos radicaux en faveur de l’énergie nucléaire. Même s’il regrette l’absence de véritables filières industrielles dans le domaine des énergies renouvelables, François Dosé, intervenant pour le PS salue, au passage, la performance des entreprises nucléaires françaises. Concernant l’EPR, il relève l’absence de débat mais n’affirme aucune opposition de principe. La majorité aura compris : si ce n’est pas un feu vert, c’est à peine un feu orange et surtout pas un feu rouge.
Le PC, lui, est plus clair : Il est pour le nucléaire, il est donc pour l’EPR. Daniel Paul, député de Seine Maritime propose même un site : Penly en Haute-Normandie.
Patrick Devedjian, ministre de l’industrie, peut donc se féliciter de ce "relatif consensus". Toujours et encore "l’exception française" !
Seul Yves Cochet, ancien ministre Vert de l’Environnement et député de Paris, prononce un réquisitoire contre la poursuite et la reprise du programme nucléaire. Il relève, en particulier, l’impossibilité de mobiliser des financements à la fois sur le nucléaire et sur les économies d’énergie ou les énergies renouvelables. Il est bien seul dans l’hémicycle mais toutes les enquêtes montrent que ses propos sont représentatifs de l’opinion d’une majorité des français.
A l’opposé, au nom de qui parlent-ils ces députés qui exigent ou acceptent de relancer la France dans l’impasse nucléaire ? S’étant succédés au gouvernement, leurs partis ont eu, à tour de rôle, la possibilité de consulter la population française et d’organiser le référendum si souvent promis. Ils s’en sont bien gardés.
Parlent ils, même, au nom de leurs adhérents et militants ? Ceux ci sont de plus en plus présents dans les rassemblements antinucléaires et de plus en plus mal à l’aise. Verrons nous encore longtemps des élus locaux s’opposer à des installations nucléaires chez eux pendant que leurs représentants se prononcent, nationalement, pour leur développement ?
"Ne faites pas croire que nous sommes tous des EPR, des élus pour rien" avait déclaré François Dosé, rapporteur socialiste, en conclusion de son intervention du 15 avril. Ne pourrait-il le prouver, lui et ses collègues députés, en organisant la réelle consultation que chacun attend ?
De ce "débat parlementaire", il faut noter l’irruption dans l’hémicycle de "l’effet de serre". En effet, veut-on nous persuader, le nucléaire ne serait-il pas la meilleure réponse au réchauffement de la Planète ?
Les mêmes qui, il y a encore peu de temps, niaient l’effet de serre et qui, encore aujourd’hui, refusent toute réduction de la circulation automobile, principale responsable de l’émission de gaz carbonique, se découvrent subitement convertis dès lors qu’il s’agit de faire la promotion du nucléaire.
Après quelques tempêtes et inondations récentes, l’été 2003 et les inondations de l’hiver qui a suivi semblent vouloir nous prouver que nous sommes entrés de pleins pieds dans l’ère du changement climatique. Les coupables on les connaît : les gaz à "effet de serre" accumulés, depuis un siècle, dans l’atmosphère par l’activité humaine. Premier d’entre eux : le dioxyde de carbone (CO2) résultant de la combustion du charbon puis du pétrole.
Aujourd’hui tous les spécialistes en conviennent : la température va considérablement augmenter pendant le siècle à venir. Le dernier rapport du Giec (Groupe international d’étude du climat) qui fait autorité en la matière, prévoit une augmentation comprise entre 1,4 et 5,8 degrés. Déjà les dix dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Les climatologues prévoient, pour l’avenir, des phénomènes extrêmes de plus en plus fréquents : canicules, sècheresses, tornades, pluies diluviennes, inondations. Simples pronostics, nous dit-on. Hélas, le climat de ces toutes dernières années semble prendre un malin plaisir à les vérifier.
Les biologistes se mettent à leur tour à vouloir lire l’avenir. Déjà ils voient monter vers le Nord des plantes, des algues, des insectes, du Sud. On imagine des oliviers à Lyon, des palmiers sur les Champs-élysées et des vignes dans le Sud de l’Angleterre.
Rêves de perpétuels étés qui doivent être tempérés par la montée de nouvelles maladies touchant aussi bien les hommes que les animaux et les plantes. Bref, un bouleversement que devront gérer les enfants qui naissent aujourd’hui et un impératif : agir. Car, nous prévient Michel Petit, président de la société météorologique de France : "même en agissant dès maintenant pour limiter l’émission de gaz à effet de serre, la température ne se stabilisera pas avant un siècle".
Le 12 juin 1992, au Sommet de la Terre de Rio, 154 chefs d’état signent la convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique. Elle a pour objectif de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre. Hélas cette bonne intention affichée se heurte immédiatement au désir de croissance illimitée des pays industrialisés. Au premier rang, les USA dont le président Georges Bush souffle le froid en annonçant d’emblée que "le mode de vie américain n’est pas négociable". Il faut attendre 1997 pour qu’un protocole fixant les conditions de mise en œuvre de la convention soit signé par 120 pays à Kyoto. Les pays industrialisés s’engagent, pour 2012, à réduire leur émission de gaz à effet de serre à un niveau inférieur de 5% à celui de l’année 1990. Chiffre modeste qui, pourtant risque fort de ne pas être atteint, d’autant plus que le protocole n’est toujours pas entré en vigueur. Il est prévu, en effet, qu’il ne fasse force de loi qu’à partir du moment où 55 pays représentant 55% des émissions mondiales de gaz carbonique l’auront ratifié. Or les USA responsables de 36% des émissions s’y refusent et la Russie (17%) se fait tirer l’oreille.
L’Europe a signé le protocole et s’est engagée à réduire l’émission de ses gaz à effet de serre à un niveau inférieur de 8% à celui de 1990. Hélas les faits ne répondent pas aux intentions et les USA, champions parmi les pollueurs, ont beau jeu de faire remarquer, avec cynisme, qu’il est plus facile de signer que d’appliquer. Un rapport de l’Agence Européenne de l’environnement (AEE) daté du 2 décembre 2003 indique, en effet, qu’à cette date la réduction n’est encore inférieure que de 2,3% à celle de 1990. Parmi les mauvais élèves : la France qui, si la tendance se poursuit, aura augmenté sa production de gaz à effet de serre de 9,5% entre 1990 et 2010. La France où la canicule de l’été 2003 a tué 15000 personnes et où les pluies de l’hiver qui a suivi ont provoqué des inondations dévastatrices.
Sècheresses, inondations, tornades, incendies… les catastrophes se succèdent à un rythme accéléré. Nous les constatons, nous en connaissons les causes mais, pétrifiés, nous agissons comme si nous refusions d’y croire.
Nous continuons à tracer des rocades autour des villes engorgées pour répondre à des prévisions de doublement de la circulation dans les dix ans à venir. Nous "modernisons" les voies express pour y autoriser la circulation à 130km/h, alors que la sagesse demanderait une réduction généralisée des vitesses qui économiserait l’énergie et réduirait tout autant le nombre de morts et de blessés sur les routes. Au nom d’une prétendue rentabilité commerciale, nous abandonnons des transports en commun alors que la "rentabilité" sociale et environnementale exigerait leur généralisation. Nous persistons à multiplier les objets "jetables" et les emballages inutiles. Parce que nous avons pollué notre eau, nous nous encombrons de bouteilles plastiques dont la fabrication, le transport et l’élimination engloutissent des tonnes de pétrole.
Qu’attendons nous ? Que les incendies aient définitivement dévasté les forêts méridionales ? Que les villes riveraines des fleuves et des estuaires soient sous la menace permanente des inondations ? Que les côtes les plus basses, les îles à fleur d’eau, soient ravagées par les tempêtes d’hiver ? Voulons nous que nos petits-enfants maudissent ce "confort" que nous leur auront volé et dont il ne leur restera en héritage que des déchets et un monde bouleversé ?
Une chose est certaine : pendant ces cinquante dernières années, qui ne sont qu’une seconde au regard de l’histoire de l’humanité, nous avons laissé se développer dans les pays industrialisés un mode de vie sans avenir. S’il devait gagner la planète entière – et pourquoi ne le ferait-il pas si les pays industrialisés n’y renoncent pas – notre monde renouerait avec les crises des époques que nous avions qualifiées de barbares.
Mais nous pouvons sortir de cette boulimie de matière et d’énergie et conserver le même confort de vie. Nous pouvons, simplement, retrouver les gestes qui, il n’y a pas si longtemps, allaient de soi : préserver, économiser, entretenir, réparer, recycler. Pourquoi le gaspillage serait-il le signe de la "modernité" ?
Il ne s’agit pas de stagner, encore moins de régresser. Il reste tant de domaines à faire progresser : l’instruction, la culture, l’art, la créativité intellectuelle et manuelle, l’hygiène, la santé, la solidarité… Tout ce qui développe le bien-être collectif en respectant chacun et son environnement.
Les certitudes technocratiques sur la sûreté absolue des centrales ne nous avaient pas convaincus. Three Mile Island était venue confirmer nos doutes. Nucléaire "capitaliste", fragilisé par la recherche du profit maximal, nous avaient dit certains. Ne pas confondre, avaient-ils ajouté, EDF est une entreprise "d’état" et donc, par nature, exempte de ces considérations mercantiles. Tchernobyl est venu leur prouver qu’il s’agissait de bien autre chose.
Les mots manquent pour évoquer Tchernobyl (1). Comment parler du sacrifice des ingénieurs et techniciens restés sur place pour lutter contre le monstre malgré la connaissance qu’ils avaient de leur mort probable. Comment décrire les familles soumises aux retombées, les jeunes militaires reconvertis en "liquidateurs" et envoyés sans protection dans les zones irradiées, les enfants souffrant encore et pour longtemps des effets des radiations…
Nul pays n’est garanti contre de tels accidents. Déjà nos centrales vieillissantes révèlent leurs fissures. "Je pense qu’il va y avoir un accident grave, il faut le dire" affirme Bernard Laponche, chercheur au CEA, ancien permanent de la CFDT énergie et ancien conseiller technique au cabinet de Dominique Voynet (revue Ecorev septembre 2002). "Il y a eu suffisamment de défaillances inquiétantes dans le parc électronucléaire depuis le démarrage de Fessenheim en 1978 pour que l’on puisse parfaitement imaginer un accident grave", poursuit-il en citant les erreurs de conception du circuit de refroidissement des centrales de Civaux et Chooz, le blocage possible des vannes des circuits de refroidissement de Flamanville, Paluel, Penly.
Au moment où Plogoff résistait la centrale de Nogent-sur-Seine se construisait à moins de 100 kilomètres de Paris. "Il faut arrêter cette centrale" affirme Bernard Laponche "car un accident, même de gravité moyenne, pourrait entraîner une catastrophe (faudrait-il évacuer la région parisienne ?)". Aujourd’hui, un accident grave sur une centrale nucléaire française (ou allemande ou belge, peu importe) provoquerait une grave crise sociale et économique qui affecterait l’Europe entière, ruinant du même coup les efforts de tous ceux qui croient en son avenir.
Il faut sortir du nucléaire et le faire vite ! Nous disent Bella et Roger Belbéoc’h, physiciens nucléaires (Sortir du nucléaire avant la catastrophe – l’esprit frappeur). A EDF qui souhaite prolonger la vie des centrales jusqu’à quarante ans en remplaçant certaines pièces défectueuses, ils font remarquer qu’accepter ces bricolages c’est vivre, pendant des décennies, sous la menace d’un accident catastrophique. « Nous devons manifester notre volonté de ne pas sacrifier nos vies et celles de nos enfants aux intérêts conjugués des industriels et de la technocratie », nous disent-ils, trouvant bien frileuses les propositions de ceux, parmi les écologistes, qui demandent une sortie programmée sur vingt ans.
Ceci d’autant plus, nous rappellent les Amis de la Terre, que nous allons bientôt devoir gérer les centrales nucléaires des pays de l’ancien bloc soviétique, en particulier de ceux qui vont intégrer l’Europe (La mort s’exporte bien – l’esprit frappeur).
Ces installations présentent, dès leur conception, des défauts qui sont à l’origine d’incidents répétés. Il faut surtout compter avec leur vétusté. Les frais d’entretien sont au-dessus des moyens de ces pays touchés par une grave crise économique. Les ouvriers restent parfois plusieurs mois sans salaire et l’encadrement y est de plus en plus léger. Le paiement de l’électricité est loin d’être assuré. En Ukraine, par exemple, « les entreprises énergétiques, et en premier lieu la compagnie Energoatom, qui gère les centrales nucléaires, ne parviennent pas à se faire payer l’électricité produite ». En 1999, seulement de l’ordre de 5% des factures étaient honorées par un paiement monétaire, 55% l’étaient sous forme de troc, les 40% restant n’étaient pas payés. Comment dans ces conditions dégager les sommes nécessaires à la préservation de la sécurité.
La solution ne serait-elle pas de fermer toutes ces centrales et d’aider les pays qui les utilisent à trouver d’autres sources d’énergie ?
C’est sans compter sur le marché juteux que représente leur prétendue " mise en sécurité ". Après l’explosion de la construction nucléaire des années 80 dans l’Europe de l’Ouest, des entreprises de ce secteur ou des entreprises du bâtiment, se sont retrouvées en difficulté faute de nouveaux marchés. L’accident de Tchernobyl suivi de l’effondrement de l’URSS est venu leur donner de l’oxygène notamment à travers des programmes financés par l’Europe. « Certaines entreprises se sont engouffrées dans le créneau de la « sûreté nucléaire ». Elles ont ainsi obtenu des contrats de plusieurs millions de dollars pour travailler à l’amélioration de centrales nucléaires dont la conception ne permettra jamais d’atteindre les critères de sûreté minimum » (les Amis de la Terre). Ces entreprises, originaires d’Europe de l’Ouest et des U.S.A sont peu transparentes sur leurs activités et influentes auprès des gouvernements. Arrêter des centrales ? Il n’en est pas question ! Ce serait tuer la poule aux œufs d’or.
Mais le danger ne s’arrête pas à la porte des centrales. A l’Est, comme à l’Ouest, il peut apparaître là où on l’attend le moins.
Société nucléaire, société policière. Tel était l’un de nos slogans des années Plogoff. Nous le pensions et le pensons toujours : une technique aussi sensible que celle du nucléaire doit logiquement réclamer une surveillance policière permanente.
Mais nous avions, cependant, compté sans le coût que représenteraient les gardes renforcées à l’intérieur de chaque site, les gendarmes mobilisés à l’occasion de chaque transport, les services de renseignement attachés à suivre tous les suspects possibles. Les gouvernements successifs ont donc, jusqu’à présent, fait le choix de la banalisation. Les centrales nucléaires sont devenues d’innocentes installations industrielles oubliées dans le paysage comme l’a pu l’être l’usine AZF à Toulouse. On sait depuis l’attentat du 11 septembre qu’elles peuvent être la cible de terroristes et on a découvert leur fragilité.
On a appris, par exemple, que les enceintes françaises, loin de pouvoir supporter la chute d’un avion gros porteur, comme on nous l’avait annoncé, ne résisteraient au mieux, qu’à un vulgaire avion de tourisme. Un "sport" est d’ailleurs devenu à la mode : survoler une centrale nucléaire en hélicoptère, en avion de tourisme ou, même, en ULM. La centrale de Civaux dans la Vienne en a fait l’expérience en juin 2003. C’est d’abord un hélicoptère puis un avion monomoteur qui sont venus se livrer à une visite touristique très démonstrative. "Impossible de les arrêter", disaient alors les autorités responsables. Une récente émission de télévision de décembre 2003 nous a fait part du remède envisagé : la mise en place de brigades d’hélicoptères chargées d’abattre les contrevenants après sommation. Bavures en perspective !
Les transports d’éléments radioactifs sont, eux-mêmes, moins protégés que les recettes des supermarchés. Des groupes qui n’hésitent pas à attaquer aux armes lourdes des véhicules blindés de transports de fonds, hésiteraient-ils à détourner un convoi nucléaire si leur profit était garanti ou si une solide motivation terroriste les animait ?
C’est la question que s’est posée Greenpeace. Le 19 février 2003, alors que l’on traque les éventuels terroristes des "réseaux islamistes", ses militants bloquent un camion chargé de 150kg de plutonium à Chalon-sur-Saône. Le plutonium circule dans un camion banalisé sans précaution particulière. "Action irresponsable" diront le groupe nucléaire Areva et le haut fonctionnaire chargé de la sécurité du convoi avant de promettre de revoir d’urgence les processus de sécurité. Promesse vaine : le lundi 10 mars, malgré les affirmations du responsable de la sécurité des transports qui persistait à assurer que les mesures prises étaient "secrètes, adaptées et suffisantes", Yannick Rousselet, chargé des questions nucléaires à Greenpeace, signalait à nouveau le départ d’un camion de plutonium du terminal Cogema de Valognes en direction de Marcoule. Deux autres convois devaient suivre dans le même mois.
Là encore, la réaction ne s’est pas faite attendre : un arrêté du 24 juillet 2003 classe la quasi-totalité de ce qui concerne le nucléaire sous le sceau du " secret défense ". Le seul fait d’informer est devenu un délit qui peut être sanctionné par des peines allant jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Mieux, le décret du 8 septembre 2003 place la gestion des conséquences d’un accident nucléaire sous la responsabilité du secrétaire général de la défense nationale ! Société nucléaire, société militaire… devrions nous dire aujourd’hui.
Ce qui n’empêche pas les failles dans la protection des transports de corps radioactifs d’être toujours aussi béantes. Qui pourra nous dire sur quelle route de campagne se prépare l’apocalypse de demain ?
Qui pouvait imaginer les entrepôts nucléaires du pays présenté comme l’un des plus policiers de la planète, la Russie, être pillés par des mafias faisant suivre aux matières nucléaires, les circuits empruntés par les trafics d’armes et de drogue ? En mars 2002, des douaniers trouvent 10kg de Thorium sur un voyageur en provenance du Kazakhstan. En septembre de la même année, on arrête en Ukraine, un individu qui espérait écouler 400g d’uranium. Des ingénieurs, des techniciens au chômage, sont prêts à monnayer leurs connaissances. Il ne faut d’ailleurs pas une grande science pour confectionner une "bombe sale" qui, à partir d’explosifs classiques, disséminerait les déchets radioactifs les plus agressifs sur l’ensemble d’une ville.
Actualité plus récente. Les forces d’intervention américaines en Irak, supposées chercher la preuve de la possession par l’Irak d’armes de destruction massive, ont laissé les installations civiles nucléaires irakiennes ouvertes à qui voulait se servir. L’Agence Internationale de l’Energie, dont les fonctionnaires connaissent bien le terrain pour l’avoir sillonné pendant de longs mois, redoute, là aussi, que des matériaux radioactifs utilisables pour la fabrication de "bombes sales" aient pu être dérobés.
Février 2004. Beaucoup de bruit pour une pseudo révélation : le Pakistan aurait livré, à l’Iran et à la Libye, les secrets menant à la bombe nucléaire. La belle affaire ! N’est-ce pas exactement ce que la France avait fait en direction de l’Irak ou d’Israël ? Chacun sait qu’il n’existe aucune frontière entre nucléaire civil et militaire. Vendre des centrales c’est une autre façon de vendre la bombe.
Les états nucléaires, responsables de la prolifération, préparent, à présent, leurs citoyens au pire. Les spectateurs des journaux télévisés du 12 mai 2003 ont pu voir les images d’un exercice de la sécurité civile dans une grande ville des USA. Le thème : des terroristes ont fait exploser une bombe sale au cœur de la ville. Le quartier détruit a été reconstitué dans un vaste terrain vague. Tout y est rassemblé, les maisons écroulées, les véhicules en flamme, les routes encombrées de gravats. Les corps des victimes, eux-mêmes, sont d’un réalisme terrifiant. Le schéma de la bombe (des déchets radioactifs entourant un explosif classique) est même donné en prime.
Nos sociétés sont-elles devenues suicidaires ? Personne ne peut dire aujourd’hui où et quand l’impensable se produira, mais chacun s’y prépare.
Accidents, problème des déchets, risques terroristes... Qui pourrait prétendre que les centrales nucléaires puissent répondre à la lutte contre l’effet de serre !
Une seule certitude aujourd’hui : le moment est venu d’en sortir.
Car jamais le nucléaire ne pourra ni ne devra remplacer les énergies fossiles.
Certes, la France, sous l’emprise des technocrates de l’électricité, a renoncé au charbon puis au pétrole pour produire 75% de son électricité à partir du nucléaire. Nous aurions donc, ainsi, renforcé notre autonomie et limité dans une forte proportion notre consommation d’énergies fossiles ? Erreur : dans le même temps, des flots de ce pétrole prétendument "économisé" sont venus alimenter un trafic routier en constante augmentation. Au total, la part du nucléaire dans l’énergie totale consommée en France n’a atteint que le niveau de 15%.
D’abord en rétablissant un bon usage de l’électricité. Renonçons à l’électricité pour le chauffage, adoptons des modes de consommation électrique plus économes pour l’éclairage et l’électroménager, développons l’électricité issue de sources renouvelables et nous serons en mesure de fermer une bonne partie des réacteurs nucléaires sans avoir à les compenser.
Regardons autour de nous.
Nos voisins européens dépourvus de nucléaire ou engagés sur le chemin de la sortie, ne cherchent pas à se raccrocher à cette illusoire bouée de sauvetage. Ils ne vivent pas pour autant dans l’angoisse d’une grave crise énergétique et s’orientent résolument vers la recherche de nouvelles voies pour économiser l’énergie et produire des énergies renouvelables. Résultat : ils avancent plus vite que nous dans la solution du problème de l’effet de serre. Déjà la France a raté le rendez-vous de l’éolien qui se prêtait parfaitement aux sites ventés et encore peu urbanisés des années 80. Le Danemark a su occuper le terrain et exporter sa technologie.
A présent, c’est le photovoltaïque qui sort de l’usage confidentiel. Hier les panneaux solaires n’équipaient que des satellites, des bouées marines ou des bateaux de navigateurs solitaires. Aujourd’hui ils permettent à des villages, en Afrique, d’éclairer leur école et leur centre de soin ou de capter les émissions de télévision du monde entier. Dans les pays industrialisés ils se raccordent au réseau sous forme de centrales de quelques mégawatts, comme en Italie, ou de quelques kilowatts sur les toits des maisons et des immeubles.
Chaque année voit le lancement de nouveaux programmes d’envergure. C’est, par exemple, l’équipement des 500 logements collectifs d’un quartier d’Amersfoort aux Pays-Bas, la bibliothèque de Barcelone, une université en Angleterre. L’Union européenne envisage un million de toits solaires pour 2010, les Pays-Bas en programment 500 000 à eux seuls, l’Allemagne 100 000 dans l’immédiat. Demain, si nous continuons à nous réfugier derrière la ligne Maginot de nos centrales nucléaires, ce sont les entreprises allemandes, hollandaises qui nous équiperont en panneaux solaires. D’ailleurs pourquoi pas ? L’Europe est devenue notre horizon commun. Aujourd’hui nous vendons du nucléaire, demain on nous vendra du solaire. Reconnaissons pourtant qu’il serait dommage de manquer ce nouveau rendez-vous. Une activité décentralisée et adaptée à une production locale comme celle thermique solaire ou du photovoltaïque pourrait certainement intéresser bien des artisans et entreprises de nos régions pour peu qu’on les encourage.
Regardons la planète. Le nucléaire y cumule un maximum de dangers mais n’y représente que 6% de l’énergie consommée.
Si nous nous débarrassons de cette épée de Damoclès, le monde ne s’en portera que mieux.
(1) Note : cet article a été écrit sept ans avant Fukushima.