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Une affiche sur le mur

 

 

Impossible de ne pas remarquer l’affiche sur le mur. Caractères rouge sang sur fond jaune d’or. L’œil est d’abord attiré par un étrange squelette de poisson. Entre la tête de raie triste et la queue largement étalée les arrêtes s’écartent de part et d’autre d’une colonne dont chaque vertèbre représente l’une des lettres du nom d’une localité qui sera, bientôt, l’un des lieux vivants de la contestation nucléaire bretonne :

P O R S M O G U E R

Encadrant l’arrête, dont le symbole sera plusieurs fois décliné sur d’autres sites, un slogan en larges lettres :

N O N  A U X

C E N T R A L E S

N U C L E A I R E S

L’affiche porte une signature : Comité Local d’Information Nucléaire, le CLIN. Ainsi commencent les années Ploumoguer.

 

L’histoire, nous l’avons vu, débute en 1975. Après une période de rumeurs et de bruits de couloirs, EDF confirme son intérêt pour les sites de Brentec’h et du Corsen sur la côte de Porsmoguer qui dépend de Ploumoguer, commune proche de Brest. Commence alors l’habituel ballet de séduction. Les élus sont promenés d’Angleterre à Chinon et se voient déployer les tapis rouges de la préfecture. Les promesses d’emplois, d’argent, d’honneurs pleuvent. Elles ont peu d’effet.

 

Le premier Clin

 

Pour répondre à EDF un premier "Clin" (Comité Local d’Information Nucléaire) est créé. Il sera suivi de beaucoup d’autres. Nous reparlerons des "Clin", comités d’information avant d’être de lutte. Celui de Ploumoguer donne le ton.

Le Pays est d’abord une région d’agriculture active, adaptée aux cultures légumières, à l’élevage et bénéficiant de la proximité de l’agglomération brestoise. Le canton est celui du département qui a accueilli le plus de jeunes agriculteurs dans les années récentes. Ce sont des syndicalistes actifs, proches souvent des "paysans-travailleurs", ces précurseurs de la confédération paysanne. La "guerre du lait" menée quelques années auparavant contre les laiteries qui les exploitaient est encore dans les mémoires. Ils savent que la construction de la centrale signifierait leur expropriation et la perte de confiance dans leurs produits. Ils préfèrent l’horizon de la mer à celui des pylônes à haute tension. Ce sont eux qui prendront la tête de la contestation.

La commune est proche du Conquet, le seul port conséquent du Nord-Finistère et gros fournisseur de crustacés. Le comité des pêches ne leur ménagera pas son soutien. A proximité se trouve également le CNEXO, actuel IFREMER, centre national d’étude des océans dont plusieurs ingénieurs et techniciens habitent la commune ou les communes voisines. Certains d’entre eux seront des informateurs et soutiens efficaces. N’oublions pas Brest, ses étudiants et ses jeunes travailleurs, encore marqués par l’esprit frondeur des années 68.

Rien d’étonnant, donc, à ce que toute une jeunesse se reconnaisse dans ces militants de leur âge, sachant alterner la recherche sérieuse de l’information avec les formes les plus festives de la contestation. Il est vrai qu’un fest-noz animé par "Bleizi ruz", "Diaouled ar Menez", ou "Sonerien Du", vaut bien une conférence quand il s’agit de populariser une lutte. Entre une "dans-plin" et un "an-dro" on a le temps de jeter un coup d’œil sur la table de presse et les panneaux d’information, d’échanger quelques mots avec les militants et de prendre connaissance du programme des prochaines manifestations.

Rapidement le Clin de Ploumoguer emporte l’adhésion des "anciens" qui se reconnaissent volontiers dans cette jeunesse enthousiaste qui a relevé le défi de la désertification rurale et décidé de "vivre, travailler et... décider au Pays". Les conseils municipaux de Ploumoguer, Plouarzel, Saint-Renan, le Conquet, directement concernés, se prononcent contre la centrale. Ces localités décrèteront une opération "communes mortes" en février 1976. Au même moment 3000 personnes manifestent à Brest pour exprimer leur soutien.

Côté EDF l’inquiétude monte. Un rapport "confidentiel" du service central des relations publiques d’EDF est rendu public en mai 1977 par le journal "La gueule ouverte". Les spécialistes en manipulation de EDF estiment que l’état d’esprit des habitants de Ploumoguer a atteint la dangereuse "phase 3". Pour ces experts la "phase 3" est celle où "les notables sont encore favorables à la centrale mais se retrouvent isolés : la population, dans sa grande majorité est devenue hostile". On apprend ainsi que des campagnes d’information vont devoir éclairer cette population si mal influencée. Deux lettres coup sur coup arrivent dans les boites pour exalter "l’apport économique de l’ouverture d’un grand chantier de construction d’une centrale" sur ce morceau de côte présenté comme constitué de "rochers déserts où viennent rarement les touristes".

Erreur monumentale ! Ces rochers déserts cachent des criques où chacun peut lancer sa ligne et poser ses casiers. Ces landes offrent des échappées superbes pour les promenades en bord de mer. Le mépris affiché par les technocrates pour ces lieux perdus du bout du monde est ressenti comme un véritable camouflet. Le Clin n’aura aucun mal à récupérer les missives qui seront rassemblées, au bourg, chez trois commerçants volontaires, et rapportées au siège brestois de EDF par une forte délégation amusée.

" Si EDF ne sait pas que faire de son argent, je veux bien un chèque pour le bureau d’aide sociale de ma commune" dira le maire de Plouarzel qui accompagne le groupe. L’état d’esprit des habitants de Ploumoguer venait brutalement de passer en "phase 4" !

 

 

En ce printemps 77 la lutte antinucléaire ressemble encore à une partie de cache-cache. Face au balourd EDF on prend plaisir à multiplier les pieds de nez. Ailleurs également l’imagination est au pouvoir. Les militants bretons reçoivent régulièrement la revue "SUPER-PHOLIX", la publication des comités Malville qui luttent contre la construction du surgénérateur Super-Phénix. Pendant l’été 1976, lors d’un premier rassemblement, les manifestants ont réussi à déborder les forces de l’ordre et à franchir pacifiquement les grilles du chantier. Les photos montrent des garçons et des filles assis et hilares, mouchoir noué sur la tête pour se protéger du soleil. En face les policiers sont en chemisette, visière relevée sur le casque. Image d’un face à face bon enfant.

Un autre rassemblement est prévu pour les 30 et 31 juillet 77. Il est appelé par le Mouvement Ecologique Rhône-Alpes, les Amis de la Terre Lyon, le Comité Antinucléaire de L’Ile-de-France, le Mouvement pour une Alternative Non Violente de Lyon et Paris.

"Rassemblement Non-Violent" proclame l’affiche dont l’illustration évoque l’ambiance de celui de 76 : barbes fleuries et chapelets de fleurs dans les cheveux. Les Clin finistériens en seront et organiseront un départ collectif.

 

 

à suivre

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