Avant la tempête.
Septembre 77, retour en Bretagne. Malgré Malville la résolution est intacte. Surtout ne pas tomber dans le piège de la violence, informer, imaginer des formes d’action nouvelles, rassembler. Un coup d’œil sur les archives d’un Clin, celui de Landerneau, révèle le quotidien d’un comité local.
réunion du 12 septembre :
projet de rencontre avec la CGT et la CFDT pour aplanir les malentendus.
3 octobre :
- Préparer une tournée du clown Kergrist pour février. Jean Kergrist, le "clown atomique", est le meilleur ambassadeur de la cause antinucléaire. Son humour, sa didactique, sont imparables. Depuis le début de la lutte il promène son TNP (Théâtre National Portatif) sur toutes les scènes de Bretagne et d’ailleurs. 25 ans plus tard, les cibles se sont multipliées mais son énergie est restée intacte.
- Préparer une semaine du film antinucléaire. Le collectif "grain de sable" qui diffuse une remarquable série de films militants a été contacté. "Grain de sable" regroupe des professionnels du cinéma qui se sont réunis en 1974 pour travailler à un cinéma construit avec les témoins directs des mobilisations. Le catalogue qu’ils nous communiquent contient des films sur l’école (68 est encore très proche), sur le monde du travail mais aussi, et c’est nouveau, sur les premières luttes pour la défense de l’environnement.
24 octobre :
- Préparer un stage de sérigraphie. D’abord cantonnés dans les caves et les garages, les ateliers d’imprimerie par sérigraphie vont se multiplier dans les "maisons pour tous" et les "centres sociaux". L’esprit de "mai" fleurit à nouveau. Les affiches ont quitté les murs du quartier latin pour éclore au cœur de chaque bourg. Elles font aujourd’hui le bonheur des collectionneurs et des musées spécialisés.
7 Novembre :
- Mettre en place l’opération "auto réduction de 15%". Le premier mai 1976, pour financer sa politique du "tout nucléaire", EDF a augmenté ses tarifs de 15%. L’idée germe de réduire soi même sa facture d’électricité de 15%. L’action est suivie par 4000 personnes en France. L’exemple est donné d’un immeuble de Nantes où 80 familles participent à ce retrait. A ce stade du mouvement, EDF peut encore se permettre de couper le courant aux récalcitrants. Certains paient et recommencent. D’autres tiennent bon.
Un groupe de militants installés dans une ferme proche de Landerneau, se trouve dans ce cas. Privés d’électricité, ils ont pu ainsi, pendant plus d’un an, expérimenter ce "retour à la bougie" dont les menacent les partisans du nucléaire : soirées chaleureuses entre copains autour d’un feu de bois, lumière vacillante des lampes à pétrole réquisitionnées dans les familles. L’occasion, peut-être, de se souvenir, avec Bachelard, que " Jadis, en un jadis par les rêves eux-mêmes oublié, la flamme d’une chandelle faisait penser les sages".
L’expérience se prête, pour le moins, à une réflexion concrète sur les alternatives au nucléaire : les économies d’énergie, les éoliennes, le solaire. Certaines maisons aujourd’hui "autonomes" ont été "rêvées" au cours de ces soirées. Généralisé, ce mouvement de désobéissance civile aurait pu avoir un impact fort mais la non-violence demande un courage individuel allié à un engagement quotidien. Il est plus facile de participer à des manifestations massives et sporadiques. Le mouvement n’aura pas l’ampleur souhaitée.
Une expérience n’est, cependant, jamais oubliée. Aujourd’hui, à nouveau en Bretagne mais aussi dans d’autres régions, des consommateurs font des retraits sur leurs factures d’eau pour protester contre la pollution par les nitrates et les pesticides. Demain d’autres, peut-être, reprendront le flambeau pour bloquer la relance du programme électronucléaire français.
Lannilis. Opération nénuphar, retrait sur factures d'eau
28 novembre :
- lecture d’un article du "Nouvel Observateur" concernant un rapport de la commission des finances de l’assemblée nationale, extrêmement critique vis à vis du programme électronucléaire et affirmant tout simplement qu’il constitue un gouffre financier. Nous reparlerons de ce rapport qui sera désigné par la suite comme le "rapport Schloesing", du nom de son rapporteur. Décision est prise de le commander et de le diffuser.
12 décembre :
commander des autocollants. La voiture d’un antinucléaire, vieille "4L" ou "4 chevaux" déglinguée, se reconnaît du premier coup d’œil à la somme et à la diversité des autocollants qui la recouvrent. Révolte, humour, dérision, s’y expriment sous toutes les formes. Le plus diffusé sera le "soleil souriant", rouge sur fond jaune, dont le "nucléaire non merci" sera décliné dans toutes les langues. " Nukleel, Nann Trugarez" sera ainsi le slogan antinucléaire breton le plus populaire.
26 janvier :
Le journal Ouest-France fait part d’une information des services officiels suisses qui envisagent comme possible l’arrivée au-dessus de la région brestoise, le vendredi 27 à midi, du nuage radioactif résultant de la chute du satellite soviétique "Cosmos 954". Ce nuage est estimé à 300 km de long sur 50 à 65 km d’épaisseur. Dans une lettre ouverte, le Clin demande au préfet quelles sont les mesures prises pour informer et protéger la population.
31 janvier :
Réponse du préfet :
"J’ai l’honneur de vous faire connaître que la radioactivité de l’atmosphère est surveillée en permanence dans le département, au moyen d’un réseau d’appareils disposés dans les centres de secours des Sapeurs-Pompiers, les Commissariats de Police ou les Brigades de Gendarmerie, de façon à assurer un quadrillage complet du département.
J’ajoute que ce réseau n’a signalé à ce jour aucune variation de la radioactivité atmosphérique à la suite de la rentrée dans l’atmosphère de "COSMOS 954"
Le préfet aurait pu ajouter qu’il dispose à Brest des mesures quotidiennes réalisées par la marine nationale. Ces services ne détecteront pas non plus, le nuage de Tchernobyl, plusieurs années plus tard. Chacun sait que la pollution radioactive respecte les frontières de la France, qu’elles soient terrestres ou maritimes !
20 février :
- le programme du festival est bouclé. Il se tiendra entre le 15 et le 23 avril. Quatre films sont retenus :
. "La bombe", de Peter Watkins se présente comme un reportage TV. Une ogive nucléaire s’abat sur Londres. La fiction est assez proche de la réalité pour que la BBC ait renoncé à programmer le film, dans la crainte d’affoler la population.
. "Nucléaire Danger immédiat", de Serge Poljinsy traite du programme nucléaire français. Des "paysans-travailleurs" luttent contre ceux qui veulent les expulser pour construire une centrale nucléaire sur leurs terres. Inculpés pour actes "violents", ils deviennent accusateurs.
. "Docteur Fol Amour" de Stanley Kubric met en scène, avec humour, un savant atomiste déséquilibré qui déclenche un conflit nucléaire mondial.
. "Kashima Paradise" de Yann Le Masson et B. Deswarte décrit la résistance acharnée des paysans de Narita, au Japon, entre Kashima et Tokyo, contre la construction d’un gigantesque aéroport international. Certains des acteurs de cette lutte auront l’occasion de rencontrer les gens de Plogoff lors d’une fête sur le plateau du Larzac.
- élections législatives : ce n’est manifestement pas le premier sujet de préoccupation. Un espoir a été cassé à Malville. Même les deux candidats de "Ecologie 78" n’entraînent pas autour d’eux la mobilisation qu’ils avaient des raisons d’espérer. Le Clin de Landerneau estime cependant devoir jouer son rôle civique et interroger les candidats. En 40 questions tous les aspects de la politique énergétique de la France sont évoqués, du nucléaire aux énergies nouvelles. Une seule candidate répond :
"J’ai bien reçu le questionnaire que vous m’avez adressé au sujet de l’énergie nucléaire.
Il ne m’est évidemment pas possible de répondre à l’ensemble des questions mais je tiens à vous faire savoir qu’elles ont retenu mon attention"
Sans commentaire !
2 mars :
Soirée électorale à Ploumoguer. Le Clin a invité les 7 candidats de la circonscription. Six ont répondu : P.S, P.C, U.D.B, L.O, R.P.R, U.D.F. En face un millier d’électeurs. Du jamais vu dans cette circonscription sage où le RPR établit généralement ses records nationaux. Bien sûr, aucun candidat ne se déclare favorable à la centrale. De l’avis des journalistes présents, le grand vainqueur est le Clin qui a donné, devant la population réunie, l’image d’une organisation sérieuse, aux positions réfléchies, capable de mobiliser largement.
12 mars :
Premier tour des élections législatives. La gauche piétine.
17 mars :
Au réveil, une odeur épouvantable. Difficile à définir : gaz ou pétrole ? Chacun, de Brest à Lorient se précipite vers sa gazinière ou sa chaudière pour en vérifier l’alimentation.
tableau P.Péron
Pendant la nuit, le 16 mars à 21heures, l’Amoco-Cadiz s’est échoué sur les rochers de Portsall, une nappe d’un gaz chargé de benzène a recouvert la Bretagne, des flots de pétrole inondent les côtes.