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Par Gérard Borvon, président des Verts Bretagne, présent à la réunion finistérienne des vétérans des essais nucléaires français : compte-rendu publié en novembre 2002(archive).
 
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Témoignage et émotions à la Martyre le samedi 16 novembre 2002.

Ce titre dans le journal "Ouest-France" du samedi 16 novembre, annonçant une réunion à la Martyre, attire mon attention.

Jean-Henry Bouffard, retraité de la marine a effectué deux campagnes dans le Pacifique et témoigne : " La pire des bombes a été Canipus, dans l’atoll polynésien de Fangataufa en 1968. 400 fois Hiroshima... Les poissons et les cocotiers ont tous grillé. La piste d’atterrissage a fondu. A 10 km, j’ai filmé le champignon. En short et en sandalettes. Au moment de l’explosion, on tournait juste le dos pendant 10 secondes."

 

Ce témoignage m’en rappelle un autre. 
 

C’était la période Plogoff. A une réunion du CLIN (comité local d’information nucléaire) de Landerneau, un jeune ouvrier nous raconte qu’effectuant son service militaire dans le pacifique, il avait été débarqué sur l’île de Fangataufa après l’essai. Tout y était détruit. Son travail et celui des militaires débarqués avec lui - essentiellement des appelés - consistait à tracer une piste d’atterrissage au bulldozer dans la chaleur et la poussière, sans aucune précaution. Il se rappelait que l’ambiance était très particulière. Un détail : la rapidité avec laquelle les graines de melon germaient quand on les jetait. Il se rappelle aussi l’arrivée des premiers techniciens quand la piste a été terminée. Alors qu’eux mêmes avaient travaillé en short et chemise, ils ont vu débarquer des extra-terrestres en tenue shadock, masque sur la figure et compteur Geiger en bandoulière.

 

Une réunion à La Martyre, témoignages et émotion.

 

Il aura donc fallu plus de trente ans pour que tous ces "vétérans" s’organisent et cherchent à connaître la vérité. La salle était pleine à la Martyre ce samedi 16 novembre.

L’AVEN (association des vétérans des essais nucléaires, créée en juin 2001) y avait organisé une réunion témoignage.

Devant une caméra fixe chacun pouvait parler. Les mots venaient parfois difficilement, surtout quand on parlait du cancer qui déjà vous rongeait, mais là, dans ce petit village du Nord-Finistère chacun savait qu’il livrait un document pour "l’ Histoire", celle qui est aujourd’hui occultée par la hiérarchie militaire mais qui devra bien éclater un jour.

Beaucoup voulaient témoigner au nom de ceux, déjà morts, qui ont dû subir, à la fois, les souffrances physiques liées à leur maladie et les souffrances morales liées au sentiment d’avoir servi de cobaye.

Présente à la tribune, une jeune femme écoutait attentivement : elle avait déjà réalisé une thèse universitaire sur les irradiés du Sahara et souhaitait la compléter par une thèse sur ceux de la Polynésie. Enseignante, elle voulait qu’un jour l’histoire de ces hommes soit écrite dans les livres d’école. Elle avait une bonne raison pour défendre cette cause : son père, souffrant d’un cancer, faisait lui même partie des irradiés.

 

Quels témoignages retenir ? 
 

Celui, par exemple de cet appelé servant dans un régiment de chars stationné en Allemagne en pleine "guerre froide" et en première ligne face aux chars soviétiques. Pour tester les réactions des soldats à l’occasion d’un éventuel affrontement nucléaire on les a transportés, avec leur chars, à proximité d’un essai saharien. L’ordre était de se diriger vers le point zéro immédiatement après l’explosion. Il nous raconte sa terreur et celle de ses compagnons, les chars à peine décontaminés par un jet d’eau et leur retour à travers l’Europe dans ces mêmes chars où ils continueront à être irradiés pendant toute la durée de leur service militaire. Naturellement, rien de cet épisode ne figure dans leur livret militaire et aucune visite médicale n’a été effectuée. Quant à leurs dosimètres, ils les ont conservés comme souvenirs car personne ne les a réclamés.
 

Irradiés du sol mais aussi irradiés de l’air. Ce pilote de chasse passait dans le nuage radio-actif pour faire des prélèvements. Il avait le sentiment d’être au cœur d’un four à micro-ondes.

 

Après les fantassins et les aviateurs : les marins. Cet appelé avait été volontaire pour les îles du soleil, les plages et les cocotiers. En fait il se rappelle avoir été confiné sur un navire dont le rôle était de prélever l’eau de mer à proximité du point zéro. La contamination radioactive y était à son niveau le plus élevé. Il ne faut pas oublier que les circuits de refroidissement d’un navire utilisent l’eau de mer, que les sanitaires, que les bouilleurs destinés à fabriquer de l’eau douce par distillation utilisent aussi de l’eau de mer. Il n’est pas difficile d’imaginer les dégâts provoqués.

 

Et les témoignages se poursuivent. A la tribune, l’amiral Sanguinetti. Vieux pourfendeur de la "force de frappe", il connaît bien son sujet pour avoir participé à plusieurs dizaines d’essais avant d’en mesurer le danger. Il réussit à faire rire l’assistance en décrivant l’effarement des officiels, Mesmer en tête, submergés par un nuage radioactif lors d’un essai raté dans le Sahara. A ses côtés Simone de Bollardière.

 

Ce combat est le nôtre

C’est toujours un plaisir de voir Simone, notre amie des Verts Bretagne, expliquer le sens de son combat et de celui de Jacques de Bollardière contre la force de frappe et les essais nucléaires dans le Pacifique.

Ce jour là, une autre "Verte" était à l’honneur. Sur la table de presse les participants étaient invités à prendre la copie de la "Proposition de loi relative au suivi sanitaire des essais". Propositions qu’ils soutiennent et veulent faire aboutir. Cette loi représenterait "un message fort de reconnaissance vis-à-vis de tous ceux et celles qui ont eu à subir des séquelles sur leur santé et celle de leurs descendants du seul fait de leur participation aux expériences nucléaires de la France" . Les militaires et civils irradiés veulent que les français connaissent le prix payé, à leur insu, par quelques milliers de leurs compatriotes pour la mise au point de la bombe nucléaire française.

 

Ils veulent également avoir une claire connaissance des niveaux radioactifs auxquels ils ont été soumis. Ils veulent enfin que les maladies qu’ils endurent soient reconnues comme des dommages provoqués par leur activité militaire et que soit créé "un fonds d’indemnisation des victimes civiles et militaires des essais nucléaires et un droit à pension pour les personnels civils et militaires et leurs ayant droit".

Cette loi, déposée le 17 janvier 2002 n’a, hélas, pas pu être votée.

Les vétérans veulent mobiliser toutes les personnes concernées pour qu’elle soit votée par l’actuel parlement. D’autres pays se sont déjà engagés sur cette voie, les USA, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Angleterre. La France ne peut rester en retrait.

Pour nous, Verts, même si notre conviction est faite depuis longtemps, nous avons une autre raison forte de nous engager : ce projet de loi a été déposé par Marie-Hélène Aubert, députée verte, vice-présidente de l’Assemblée Nationale.

 

Gérard Borvon, président des Verts Bretagne.

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Voir aussi : 

Vétérans des essais nucléaires : des témoignages.

Polynésie: 200 vétérans du nucléaire ont manifesté à Papeete.

les victimes oubliées des essais nucléaires.

Victoire posthume pour un ancien irradié de Mururoa.

Hommage à Bruno Barrillot.

Bruno Barrillot, né le 9 avril 1940 à Lyon, vient de nous quitter ce samedi 25 mars vers 23 heures (heures françaises) à Tahiti, entouré par ses amis polynésiens, des suites d’un cancer. 
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