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Janvier-février 1981. Les comités qui luttent contre l’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff dans la Pointe du Raz sont persuadés, après la forte résistance qui a marqué l’enquête publique, que la victoire est au bout de leur combat.

Nous sommes alors en pleine campagne électorale pour les présidentielles et le moment semble venu de rappeler que le nucléaire c’est aussi, et même d’abord, la bombe nucléaire et, en Bretagne, la base de de sous-marins nucléaires de l’Ile Longue.

Le Comité d’Information Nucléaire de Landerneau (C.L.I.N) qui rédige le journal des comités bretons, Nukleel ?, a donc décidé de publier un numéro spécial consacré au nucléaire militaire sous le titre "Nucléaire militaire. La Bretagne au cœur de la cible.".

Ce sera le meilleur tirage de la revue : 5000 numéros diffusés de la main à la main par les comités.


 

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Rumeurs dans la presqu’île : une nouvelle base serait programmée au Cap de la Chèvre.

Un élément a accéléré la rédaction de ce numéro de "Nukleel ?". En juin 1980, dans le "Télégramme", puis dans le "Canard Enchaîné" et enfin dans "Air et Cosmos" (le "50 Millions de Consommateurs" des l’industrie d’armement), une nouvelle bouleverse la population :

"Une nouvelle base de sous-marins S.N.L.E au Cap de la Chèvre dans la baie de Douarnenez ? " Cette nouvelle viendrait (selon le télégramme) des couloirs du Conseil Général du Finistère réuni en sa session de printemps. Fausse rumeur ou ballon d’essai ? Le Cap de la Chèvre, ce joyau minéral, est l’un des lieux les plus fréquentés par les touristes. Qui oserait y toucher ? Mais l’exemple de la Pointe du Raz ou EDF veut implanter une centrale nucléaire et celui de l’Ile Longue déjà sacrifiée, sont là pour rappeler que rien ne saurait arrêter les appétits du lobby nucléaire qu’il soit civil ou militaire.

Cette fois les habitants ne veulent pas être pris au dépourvu. Dès juillet un comité de défense se crée pour rechercher des informations et déjà envisager les actions à mener au cas où la menace se préciserait. Le maire de Crozon, Claude Yvenat, instituteur socialiste qui avait déjà été un des animateurs de la lutte contre la base de l’Ile Longue, interpelle lui-même la préfecture maritime dans une lettre officielle datée de juillet.

Le préfet maritime dément. Pourtant, en septembre c’est à nouveau la télévision régionale qui évoque le sujet dans un flash rapide. Nous sommes encore à une époque où la télévision, nationale comme régionale, est perçue comme portant la parole officielle du pouvoir politique. Il y aurait donc bien anguille sous roche ? Du coup les langues vont bon train. On parle d’une route reliant les silos de Guenvenez au Cap de la Chèvre, de souterrains traversant toute la presqu’île pour faire communiquer la rade de Brest et la baie de Douarnenez. On évoque la transformation du port de Douarnenez, port voué au nucléaire civil pour alimenter Plogoff si la centrale se fait, devenir militaire pour desservir le Cap de la Chèvre et l’Ile Longue.

Les inquiétudes sont-elles excessives ? L’exemple du Cotentin, ce Finistère en miniature, est là pour illustrer la façon dont une presqu’île, riche de sa beauté sauvage, a pu être progressivement envahie par les plus dangereuses des activités nucléaires civiles comme militaires. Les premières pages du numéro spécial de "Nukleel ?" dressent déjà le tableau de l’envahissement progressif de le rade de Brest et de la presqu’île de Crozon par l’activité militaire et de son impact négatif sur l’économie de tout le secteur mais ne faut-il pas d’abord parler du danger d’être la future cible d’un conflit nucléaire.


 

document réalisé par le comité de défense de la presqu’île de Crozon.

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Une attaque sur Brest et l’île Longue, quel bilan ?

Telle est la question que se posent les rédacteurs. Peu de temps auparavant le congrès américain avait rendu publique une étude envisageant toutes les conséquence d’un conflit nucléaire sur la population . En particulier les effets de l’explosion d'une bombe de une mégatonne sur une grande cité avaient été mis en chiffres. Les militants transposent les données au cas brestois.

Supposons donc qu"une nuit par temps clair, une attaque surprise préventive soit déclenchée sur les installations militaires de la rade. L’engin de une mégatonne provoque un cratère de 300 mètres de large pour 60 à 100 mètres de profondeur. Des dizaines de milliers de tonnes de débris fortement radioactifs sont ainsi arrachés du sol.

jusqu’à 5km du centre de l’explosion tout est rasé. immeubles et pavillons ne sont plus que gravats couvrant le sol. La totalité de la population vivant dans la zone des 3km est anéantie de même que plus de la moitié de celle vivant entre 3 et 5 kilomètres. 100 000 morts immédiats. Les quelques militaires présents dans les abris enterrés de l’arsenal ne règnent plus que sur un immense cimetière. Celles et ceux des habitants qui ont survécu au premier choc sont gravement blessés, pour la plupart brûlés et atteints par la radioactivité. L’incendie se déchaîne. Une boule de feu de 1km de rayon irradie sa chaleur, allumant des incendies jusqu’à une distance de 15km. Un gigantesque raz de marée ravage les côtes bretonnes.



 

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Des retombées mortelles jusqu’à 300km.

Dix minutes après l’explosion, les premières retombées radioactives, celles qui sont contenues dans la tige du champignon, atteignent le sol dans un rayon de 10km. Une heure plus tard, une seconde vague, celle de la tête du champignon, entraînée par le vent commence à retomber. Ce seront les plus meurtrières. La zone mortelle ( dose reçue supérieure à 600 rem) occupe une surface elliptique de 300km de long sur 60 de large, soit environ 10 000 km2. Il n’est pas exagéré de penser que, sous l’effet des radiations, plus de 500 000 personnes mourront ainsi au bout de quelques heures ou de quelques jours.


 

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Le Rem (Röntgen Equivalent Man) est une ancienne unité de mesure de la dose reçue de radioactivité. Il a été initialement défini comme la dose de rayonnements ionisants ayant les mêmes effets sur la santé qu’une dose d’un rad de rayons X. Il a été remplacé en 1979 par le sievert (symbole Sv). 1 Sv = 100 rem



Que se passe-t-il alors ? Quels secours espérer pour les rares survivants ?

La totalité des hôpitaux et cliniques de la région brestoise sont détruits. De toutes façons à quoi serviraient-ils ? Comment aller hercher les blessés, les brûlés, dans des zones très radioactives où les voies de communication n’existent plus. Privés de soins, privés de nourriture, les rescapés ne survivront pas longtemps.

Le CLIN de Landerneau avait projeté le film "La bombe" de Peter Watkins. Sorti en 1965, à partir de documents filmés à Hiroshima, Nagasaki et Dresdes, il imagine une attaque nucléaire sur l’Angleterre. Le réalisme des images est terrifiant, les spectateurs sortent de la salle sonnés. Pourtant le film est encore en dessous de ce que serait la réalité.

La revue cite alors deux documents issus de textes officiels qui ne laissent aucun doute sur la protection de la population et les secours à attendre en cas d’attaque nucléaire.

Couchez vous sur le ventre et attendez 10 secondes avant de vous relever.

Le premier document cité date de 1952. La référence en matière d’attaque nucléaire c’est encore Hiroshima et Nagasaki. Que faire si vous êtes dehors en cas d’une attaque surprise ? Une "Instruction sommaire de l’État-major de l’armée sur la protection civile contre les attaques atomiques" publiée à Paris chez Berger-Levrault vous renseigne.

Morceaux choisis :

"se coucher immédiatement sur le ventre, la tête et le thorax appuyés su les bras fléchis, à cause du danger de l’onde de choc propagée par le sol.


- se placer contre le bas d’un mur, d’une haie, d’une palissade, le rebord d’un trottoir, dans le fond d’un fossé, c’est-à-dire derrière tout ce qui peut former écran contre le souffle, la vague de chaleur, les rayons et les neutrons.


- attendre au moins une dizaine de secondes pour se relever, ne le faire qu’après que les débris projetés soient retombés.
 

- si l’on est surpris dans sa maison, se mettre plutôt contre un mur ou une cloison intérieurs que contre le mur extérieur, l’endroit le plus sûr étant l’angle de la cheminée.
 

- dès qu’une alerte est donnée gagner l’abri le plus proche.à défaut d’abri se couvrir d’un manteau, de journaux, de tout ce qui peut protéger de la chute des poussières radioactives.
 

- s’il est possible, mettre des gants et le masque contre les gaz.
 

- à défaut de masque, respirer à travers un mouchoir dans la zone de destruction.
- si l’on n’est pas couché sur le ventre, replier les bras devant les yeux et ne pas regarder en l’air. se tenir à distance des fenêtres afin d’éviter les blessures par éclats de vitre.

 

- attendre une dizaine de minutes au moins avant de sortir des abris, mais les quitter en cas de menace d’incendie ou d’écroulement.
 

- s’abstenir pendant quelque temps de boire, de manger, de fumer, à cause du danger de contamination.
 

- se débarrasser le plus tôt possible des vêtements et des chaussures qui ont pu être contaminés et mettre des vêtements et des chaussures propres après s’être lavé complètement.

Faut-il en rire, faut-il en pleurer ? C’est bien ainsi qu’on préparait la population à une guerre nucléaire en 1952.

W, X, Y, Z... Les zones de bouclage.

Le deuxième texte nous montre à quel point la situation n’a pas évolué. Il date de 1977 et est extrait d’un exposé fait devant la Société Française de Radioprotection. Les armes nucléaires ont progressé depuis Hiroshima, ce qui est envisagé ici c’est une attaque avec une bombe H de 1 mégatonne.

Première consigne : "Ayant pris place dans les abris, la population doit y rester au moins 48h".

Des abris ? Où sont-ils en 1977 ? Qui a prévenu la population de s’y rendre ? N’oublions pas qu’il s’agit d’une attaque surprise !

Pourquoi 48 h ? C’est le temps, nous dit-on, qu’il faudrait aux "services de détection" pour mesurer la radioactivité et définir quatre zones de bouclage. Pour qui se souvient du nuage radioactif de Tchernobyl traversant clandestinement la frontière française, l’idée de détecter et mesurer celui, combien plus dangereux, issu de l’explosion d’une bombe a tout d’un rêve surréaliste.

C’est pourtant sur cette hypothèse que quatre zones sont définies. Parcourons les dans l’ordre décroissant.

Zone Z : une heure après l’explosion, la radioactivité y est supérieure à 1000rem/heure. L’irradiation interdit toute activité physique au bout de quelques minutes, la mort survient après quelques jours. Noter que cette zone couvrirait au minimum l’ensemble de la Bretagne. Que nous en dit le conférencier ? " La zone Z est très fortement contaminée. Plus on s’engage dans cette zone, plus la radioactivité est grande. La plupart des habitants risquent d’être malades et beaucoup peuvent être mortellement irradiés. Au cours des 48 premières heures suivant l’explosion, la dose accumulée y est supérieure à 2800 rem à l’air libre. La survie en zone Z est difficile à envisager pour ceux qui ne disposent que d’abris ayant un coefficient de protection (cdp) de 40 et leur évacuation s’impose dans les plus brefs délais après les premières 48 heures. Il s’agit là d’une opération complexe qui nécessite un transport rapide pour limiter à moins d’une demi-heure le séjour à l’air libre. Les difficultés de l’opération sont accrues par le nombre des évacués et le fait que beaucoup d’entre eux se trouvent dans les régions endommagées. La zone Z peut être interdite pendant plusieurs mois."

Zone Y : La dose accumulée en une semaine va de 800rem à 2000rem. Des panneaux sont disposés à la limite de la zone Z pour éviter qu’on y entre. Qui est allé les placer ? On ne sort pas de la zone Y. Qui la garde ? Mystère !.

" Les habitants de cette zone doivent prendre de sévères précautions pour éviter la maladie des rayonnements. Après les 2 jours sous abri, le temps à l’air libre ne doit pas dépasser 2 h par jour et le temps sous couvert 8 autres heures pendant 12 jours. Pendant les 3 semaines qui suivront, les habitants ne doivent pas demeurer à l’air libre plus de 4 h par jour et rester sous couvert aussi longtemps que possible. Enfin, pour le reste de la première année il ne doit être passé plus de 8h par jour à l’air libre. Comme dans la zone X le maintien sur place est la règle."

Où se nourrir pendant ces longues années de confinement ? Où trouver de l’eau non contaminée ? Mieux vaut ne pas poser la question !

Zone X  : Elle atteindrait plusieurs centaines de kilomètres de long et une centaine de large. Autant dire qu’elle irait au minimum de Brest à Paris. Les doses cumulées y varieraient entre 80 et 800rem.

"Après 48h en abri, les habitants de cette zone peuvent les quitter pour passer au maximum 4 h par jour à l’air libre pendant les 5 jours suivants. Les 20 autres heures de chaque jour doivent être passées, si possible, dans les abris ou au minimum sous couvert offrant un coefficient de protection (cdp) de10 environ. A la fin de la première semaine, la zone X redevient à peu près normale, toutefois le temps passé à l’air libre est limiter au strict nécessaire et ne doit pas dépasser 8 h par jour pendant les 3 premiers mois. Une décontamination naturelle due à la pluie et au vent ou une décontamination artificielle(lavages, brossages, décapages, etc.) rendent ces prescriptions moins strictes. Les passages entre zone X et zone Y sont signalés après les 48 h passées en abri, par des panneaux "Danger de retombées radioactives" et prescivant "Défense de passer de X à Y". Les habitants de la zone X sont informés de ce que leur intérêt est de rester sur place en raison du surpeuplement qu’ils peuvent trouver ailleurs et du risque de ne pas disposer d’un abri convenable en cas de nouvelle attaque."

Zone W : Après quelques jours de vents variables (souvenons-nous de Tchernobyl), elle couvrirait l’essentiel du territoire français et une bonne partie de l’Europe. Au cours des premières 48 h après l’explosion la dose reçue serait de l’ordre de 80rem.

"Dans la zone W, il n’est pas nécessaire de rester 48 h dans les abris, l’autorisation d’en sortir peur être donnée dès que l’intensité du rayonnement tombe à 0,3rem/h. L’entrée dans la zone w en venant de la zone libre est signalée par des panneaux portant l’inscription "Danger de retombées radioactives". Ces panneaux ne constituent pas une interdiction de passer mais sont destinées à informer du danger couru en pénétrant dans la zone."

Relisant ce texte aujourd’hui je retrouve le sentiment d’effarement que nous avions ressenti au moment où nous l’avions découvert. Comment des stratèges militaires avaient-ils pu écrire un tel scénario sachant très bien que les moyens ne pourraient jamais exister de le mettre en œuvre. Quelle a été la réaction des auditeurs de la "Société française de radioprotection" à l’écoute de telles inepties ?

La première question à poser à l’orateur aurait certainement : vous parlez d’abris, mais où sont-ils ?

Trois ans plus tard, c’est la question que posaient les sénateurs Marcellin et Bonnefous dans un "Rapport sur le niveau de protection de la population civile française en temps de crise" daté d’avril 1980.

 

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A suivre.

Le numéro 11 du journal Nukleel consacré au nucléaire militaire sous le titre "Au cœur de la cible" rendait compte d’un "Rapport sur le niveau de protection de la population civile française en temps de crise" publié "au nom de la commission des finances", daté d’avril 1980 et signé des sénateurs Marcellin et Bonnefous .
Tag(s) : #Au cœur de la cible nucléaire
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